Pakistan · 21 avril 2020 · 4 min
Le village de Bagrote se situe dans une vallée aux confins du district de Gilgit, dans le nord du Pakistan. Là-bas, les femmes effectuent la plupart des travaux agricoles et des tâches ménagères, ce qui leur laisse peu de temps pour se soucier de leur santé et de celle de leurs enfants.
De ce fait, dans un pays qui, selon une étude de l’UNICEF de 2018, détient déjà le triste record du troisième plus fort taux de mortalité maternelle et infantile du monde, ce dernier est encore plus élevé dans des zones reculées comme Bagrote. Pour les habitants de ce village qui ne compte qu’un dispensaire civil délabré sans personnel qualifié, l’établissement de santé le plus proche se situe à une heure de route.
C’est dans ce contexte qu’intervient Noor Khatoon, une habitante de Bagrote de 35 ans qui a été recrutée comme sage-femme communautaire par les Services de santé Aga Khan (AKHS) dans le cadre du programme « Accès à des soins de qualité par l’expansion et le renforcement des systèmes de santé » (AQCESS) financé par Affaires mondiales Canada. C’est en 2013 que l’histoire commence, lorsque l’équipe du Projet « Soins aux mères et survie des enfants » proposa à Noor de devenir sage-femme communautaire. Cette dernière accepta et fut ainsi formée et reçut l’équipement nécessaire à sa nouvelle activité. En 2016, Noor fut nommée « meilleure sage-femme communautaire de la région de Gilgit ». « J’ai toujours vu les gens de mon village souffrir. Naturellement, je partage leur douleur », déclare-t-elle.
À ses débuts, Noor suivit plusieurs formations sur différents thèmes en lien avec la santé maternelle, néonatale et infantile (SMNI), dont le planning familial et les soins maternels et néonatals essentiels. Sa première mission fut de sensibiliser les communautés vivant dans sa zone cible à l’importance de la SMNI et d’identifier, de prendre en charge et d’orienter vers les hôpitaux les enfants souffrant de malnutrition. En dehors des nombreuses formations, elle participa également à cette époque à un programme d’observation de 20 jours au Centre médical Aga Khan de Gilgit.
À ce jour, Noor continue de renforcer ses compétences régulièrement. En 2017 et 2018, elle suivit de nouvelles formations proposées dans le cadre du programme AQCESS sur des thèmes tels que les soins maternels et néonatals essentiels, les soins de santé reproductive, les systèmes de gestion de l’information, la planification et l’espacement idéal des grossesses pour la santé (PEIGS) et l’approche déviance positive/foyer. Elle aborda également d’autres sujets, dont les soins post-partum du cordon ombilical, l’allaitement maternel exclusif et l’espacement des naissances.
Forte des connaissances acquises au cours de ces nombreuses formations, Noor organise aujourd’hui des séances régulières de déviance positive/foyer auprès des femmes enceintes et allaitantes afin de les sensibiliser à l’importance de la SMNI. Elle fournit également aux communautés des moyens contraceptifs afin d’espacer les naissances.
As part of her work, Noor Khatoon (bottom left) follows up with mothers in the remote Bagrote valley. Too often, community midwives do not have the financial means to sustain their work. By addressing both training and financial means, the AQCESS project provides access to maternal and child health services in remote areas.
AKDN
Depuis 2017, Noor a supervisé seule plus de 100 accouchements. Elle a notamment géré des naissances à haut risque, avec le consentement préalable des patientes et de leurs responsables légaux. En raison du fort taux de pauvreté dans la région et de l’éloignement des établissements de santé, Noor est souvent la seule personne pouvant aider les femmes de Bagrote à accoucher.
En 2017, l’équipe d’AQCESS proposa en effet à Noor d’intégrer son modèle de franchise sociale. Conformément aux directives et protocoles de SMNI du programme, elle suivit une formation sur le planning familial et la distribution de médicaments et d’articles essentiels. Par la suite, Noor put améliorer son poste d’accouchement et suivre des formations de remise à niveau régulières. Elle commença ainsi à proposer des soins pré et postnatals et assurer des accouchements.
En parallèle, elle suivit une formation en gestion des entreprises et en entrepreneuriat dans le cadre du modèle de franchise sociale du programme AQCESS. Lorsqu’elle commença à travailler comme sage-femme communautaire, son mari, un cipaye dans l’armée, était le seul membre de la famille à avoir un revenu. Au moment où nous écrivons ces lignes, elle a depuis gagné plus de 60 000 roupies pakistanaises (376 dollars) grâce à ses services. Leurs cinq enfants (quatre filles et un garçon) sont désormais tous scolarisés. Elle répond aujourd’hui à ses besoins et à ceux de ses enfants et est même en mesure d’apporter un soutien financier à ses amis et aux autres membres de sa famille qui seraient dans l’incapacité de payer une échographie ou de consulter un spécialiste. En plus de ses connaissances et compétences, Noor a également acquis une indépendance financière grâce au programme.
Une sage-femme dans la communauté
Les habitants de cette vallée reculée sont plus sereins maintenant qu’une sage-femme communautaire y est installée et a les moyens de mener son activité, comme en témoigne l’histoire de Shahina et de son mari. Lors de sa quatrième grossesse (le couple ayant déjà deux filles et un garçon), Shahina commença à consulter Noor pour bénéficier de soins prénatals. Elle découvrit à cette occasion que son indice de masse corporelle (IMC) était trop bas et que la croissance de son bébé n’était pas optimale. Lorsque Shahina fut refusée des différents hôpitaux de la région en raison de difficultés financières, Noor fut en mesure de la conseiller et de lui fournir des micronutriments essentiels tout au long de sa grossesse, dont de l’acide folique, du Fefol-Vit, de l’huile de foie de morue et du calcium.
À la date prévue de l’accouchement, Noor reçut un appel aux alentours de minuit. Elle parcourut 10 kilomètres à pied pour se rendre chez Shahina qui, à son arrivée, subissait des contractions très douloureuses. Noor lui donna de quoi la soulager, lui posa une intraveineuse et demanda à son mari de se préparer à l’emmener à l’hôpital à Gilgit. Toutefois, le couple n’avait pas les moyens financiers de se rendre à l’hôpital.
Le temps leur étant compté, Noor dut prendre une décision. Elle n’eut ainsi d’autre choix que d’aider Shahina à mettre au monde son bébé chez elle. À 4 heures du matin, une petite fille en bonne santé était née. Par la suite, Noor rendit régulièrement visite à Shahina pour lui fournir des micronutriments essentiels, lui apprendre les meilleures pratiques d’allaitement et la conseiller sur les apports nutritionnels nécessaires à la bonne croissance de son enfant. Elle lui expliqua également les avantages à espacer les naissances.