Pakistan · 12 novembre 2020 · 5 min
Nichée dans les montagnes reculées du nord du Pakistan, la vallée de Chiporsun compte 4 000 habitants. Située à moins de 80 kilomètres de la frontière avec la Chine, elle est reliée au reste du pays par des pistes de terre rocailleuses qui mènent à la route du Karakorum (KKH). Culminant à plus de 4 500 mètres au-dessus du niveau de la mer, la KKH est la plus haute route goudronnée du monde, mais également l’une des plus époustouflantes.
Sur le trajet qui mène à la vallée, plusieurs signes accueillent les visiteurs dans « la région de tous les rêves ». Depuis 1905, le Réseau Aga Khan de développement (AKDN) s’efforce d’aider les enfants de cette contrée oubliée à réaliser leurs rêves. Pour beaucoup d’entre eux, ces rêves commencent par une éducation de qualité.
Malheureusement, dans ce domaine, les enfants de la vallée sont souvent négligés. Compte tenu de l’éloignement de cette zone, les écoles y ont pris un important retard par rapport à celles des centres urbains de la région. Lorsqu’Atta-Ur-Rehman est arrivé dans la vallée de Chiporsun pour prendre un poste de directeur dans un établissement scolaire, les signes étaient on ne peut plus clairs. Les enseignants se plaignaient du manque de ressources et d’accompagnement et allaient parfois jusqu’à frapper leurs élèves pour les punir. Les parents étaient quant à eux mécontents des progrès de leurs enfants, mais également du travail de l’établissement.
According to Chipurson Valley school Headmaster Atta-Ur Rehman (left), since AKF's School Improvement Programme teachers have reported a more positive, effective exchange with their students.
AKDN / Christopher Wilton-Steer
Depuis, cette école et plus de 270 autres établissements de la région du Gilgit-Baltistan et de Chitral - pour la plupart publics - bénéficient d’un programme unique qui place les enfants au cœur des activités d’apprentissage. En 2016, la Fondation Aga Khan (AKF) a lancé un projet éducatif novateur appelé Programme d’amélioration scolaire (SIP). Le SIP repose sur une approche globale de l’éducation qui implique l’ensemble de la communauté scolaire, des parents aux enseignants en passant par les responsables gouvernementaux, dans un travail d’amélioration des résultats des élèves.
Un environnement difficile
Dans le lycée public pour filles Kirmin, l’établissement bénéficiaire du SIP dont Atta-Ur-Rehman est le directeur, le plus gros problème reste le manque d’enseignants. Cette absence de ressources humaines est malheureusement une réalité pour de nombreuses écoles du Pakistan, mais elle est particulièrement prononcée dans les régions rurales. En conséquence, dans les établissements les plus touchés, les classes sont surchargées et les enseignants doivent faire cours à plusieurs niveaux en même temps sans y avoir été formés.
Relativement isolé, l’établissement n’attire pas les enseignants les plus qualifiés, qui privilégient la vie des villes plus peuplées et mieux connectées, comme Gilgit.
Les conditions climatiques extrêmes qui frappent la région d’octobre à avril viennent peser un peu plus sur ce problème. L’hiver, les températures peuvent brutalement chuter au point que les enfants ne peuvent se rendre à l’école.
Cependant, Atta-Ur-Rehman explique que, depuis la mise en place du SIP dans son établissement, il a observé de nombreuses améliorations, et particulièrement un changement de comportement des enseignants envers leurs élèves. Lors de son arrivée, il y a 10 mois, les enseignants peinaient à gérer leurs classes sans avoir recours à des punitions physiques. Aujourd’hui, il constate que les membres du personnel comprennent mieux les concepts fondamentaux de la pédagogie et mettent en œuvre des méthodes d’enseignement qui leur permettent de superviser leurs cours de manière plus efficace et plus éthique.
Enseigner aux enseignants
Pilier fondamental du SIP, son modèle de formation vise à renforcer les capacités des enseignants à relever les divers défis qu’ils peuvent rencontrer dans les écoles publiques du Pakistan : absence d’enseignants, pénurie de ressources et de fournitures ou manque d’implication des parents.
Avec l’aide des Centres de perfectionnement professionnel de l’Institut pour le développement de l’éducation de l’Université Aga Khan (AKU-IED) de Gilgit et de Chitral, des enseignants, proviseurs et responsables gouvernementaux choisis sont habilités à devenir formateurs et sont à ce titre eux-mêmes rigoureusement formés sur les sujets suivants :
Une fois formés, ces enseignants, proviseurs et responsables gouvernementaux retournent dans leurs groupements scolaires et dispensent l’essentiel de ces formations à leurs collègues. De plus, certains enseignants-ressources clés sont également formés à l’anglais, aux mathématiques, aux sciences et à l’ourdou afin qu’ils puissent encadrer leurs collègues plus efficacement et les encourager à apprendre les uns des autres. Ces nouveaux liens entre les acteurs des communautés scolaires, ainsi que le renforcement professionnel qu’entraîne la formation, commencent à avoir un effet stimulant sur les enseignants des établissements soutenus par le SIP.
Enseigner avec le cœur
Atta-Ur-Rehman explique observer un changement important dans son établissement depuis la mise en œuvre du SIP : les méthodes d’enseignement et d’apprentissage, qui reposent sur les échanges entre les élèves et les enseignants, ont considérablement été améliorées. « Désormais, les enseignants sont plus... chaleureux. Ils apportent le soutien nécessaire à leurs élèves », confirme-t-il.
Le SIP s’écarte délibérément du carcan de l’enseignement traditionnel sur tableau noir afin de permettre aux enseignants visés de s’appuyer sur un modèle davantage centré sur les enfants. Les jeux de rôle, le dessin, les contes et les travaux manuels ne sont que quelques exemples des activités d’apprentissage que les enseignants mettent désormais en œuvre grâce à la formation qu’ils ont suivie.
« Avant, les enfants apprenaient en silence, ils se contentaient de ‘recevoir l’éducation’ », explique Atta-Ur-Rehman. Désormais, grâce à l’approche centrée sur l’enfant du SIP, les élèves sont activement impliqués dans leur propre apprentissage. Les cours sont construits de manière à les encourager à poser des questions et stimulent leurs capacités de réflexion et leur soif de connaissance. C’est indubitablement l’enthousiasme retrouvé des enseignants pour leur rôle dans le développement des enfants qui favorise ce nouvel environnement positif.
Lorsqu’on lui demande ce qui le rend le plus fier, Atta-Ur-Rehman n’hésite pas une seconde : « Tous les membres du personnel sont désormais pleinement impliqués. Les enseignants, qui sont le moteur de tout établissement scolaire, se montrent présents et stimulent les élèves. »
Les murs de la salle des professeurs du lycée public sont couverts de découpages parmi lesquels figurent une lune et des étoiles. On peut lire sur la lune la mention « Qualités d’un bon enseignant », tandis que les étoiles qui l’entourent indiquent chacune une de ces qualités, qui ont été déterminées par les membres du personnel et de la communauté de l’école lors d’une récente activité menée dans le cadre du SIP. « Modèle », « intellectuel », « honnête », « ponctuel », « qualifié » et « énergique » sont quelques-uns de ces traits.
En contraste total avec les murs incolores et les sols froids en ciment des écoles voisines qui n’ont pas encore travaillé avec le SIP, les écoles soutenues par le programme offrent un espace chaleureux, accueillant et convivial pour les élèves, avec des tapis aux murs, des présentoirs et des zones d’apprentissage pour les plus jeunes.
Aujourd’hui, les rires et les chants des enfants résonnent dans cet environnement chaleureux, qui encourage les parents, les membres de la communauté et même les responsables municipaux à s’impliquer davantage dans le processus éducatif. Si la vallée reste isolée des villes, cette école et ses salles de classe animées se placent désormais au cœur de l’espoir d’une nouvelle vie pour ces enfants.
Faire passer les enfants au premier plan
Dans son école primaire publique pour filles, Shahida Parveen, enseignante de sciences, explique comment elle a appris à enseigner de manière plus adaptée aux enfants grâce au SIP: « Auparavant, je dispensais des cours magistraux classiques et n’avais aucune interaction avec mes élèves. Aujourd’hui, mes cours revêtent une forme d’ateliers. Les enfants travaillent par eux-mêmes et sont plus impliqués dans leur propre apprentissage ».
Une directrice d’école et tutrice dans le cadre du SIP évoque quant à elle la joie qu’elle a vue dans les yeux des élèves lorsque les enseignants ont commencé à les faire participer activement aux activités. Elle évoque notamment la façon dont ce nouveau processus d’apprentissage vient nourrir leur fierté et leur bonheur jour après jour. « Je constate que les enfants se montrent de plus en plus intéressés par ce que les enseignants leur proposent. Ils posent davantage de questions. »
Aider les enfants à réaliser leurs rêves
Quels espoirs fondent les enseignants de cette vallée reculée pour leurs élèves ? La plupart d’entre eux espèrent que ces enfants deviendront un jour des citoyens pakistanais actifs qui redonneront à leur communauté, militeront en faveur de la paix et feront preuve de bienveillance à l’égard de leurs prochains.
Les enseignants ont désormais conscience qu’une éducation de qualité est essentielle s’ils souhaitent que leurs élèves exploitent tout leur potentiel et réalisent leurs rêves. Avec les outils et les compétences qu’ils ont acquis grâce aux SIP, ils contribuent aujourd’hui à faire de ces rêves des réalités.
Ce texte est une adaptation d’une histoire publiée sur le site internet de la Fondation Aga Khan États-Unis.