Projecteur
Cultiver ou partir : les agriculteurs syriens face au changement climatique
Syrie · 17 décembre 2025 · 4 min
Par Harry Johnstone
Rezak al Said tire un tuyau d’eau menant à son puits. Soudain, un bruit retentit. Des battements d’ailes. Des oiseaux jaillissent du puits en pépiant à leur passage. Nous sourions. Ce bref moment de légèreté ne saurait cependant masquer la situation préoccupante de Rezak. Son puits est à sec depuis des mois. « Nous n’avons jamais connu une telle chaleur », confie-t-il. « La région est en train de se transformer en désert. Nous avons atteint un point de non-retour. »
Cette année, la Syrie a été confrontée à une crise historique de l’eau et de la sécurité alimentaire. Les moyens de subsistance de 14,5 millions de personnes, soit près des deux tiers de la population du pays, sont menacés par ce qui est considéré comme la pire sécheresse à frapper le pays depuis plus de 60 ans. Alors que la communauté internationale soutient le nouveau gouvernement de transition, des signes d’espoir apparaissent. Mais l’ampleur du défi reste immense.
« Avant, nous avions des vaches, des moutons, des dindes, des canards, des pigeons, des légumes, du blé et des aromates », explique Rezak. « Puis, les circonstances nous ont forcés à changer nos activités. » Il évoque la guerre, les vagues de chaleur extrême et la sécheresse. Rezak a dû renoncer à cultiver lui-même le blé. Il loue désormais ses terres à d’autres agriculteurs, une solution qui lui coûte de l’argent. Aujourd’hui, il a vendu presque toutes ses volailles et ses têtes de bétail, dont 230 moutons. Avec ses cheveux gris et son visage marqué, Rezak paraît plus âgé que ses 47 ans.
Rezak al Said tient un pigeon à l’intérieur de son pigeonnier. Après des années de sécheresse, qui l’ont contraint à vendre la majeure partie de son bétail, c’est l’un des rares moyens de subsistance qui lui restent.
AKDN / Christopher Wilton-Steer
Un climat sous pression
L’exploitation de Rezak se situe dans le village de Jadoua, un petit ensemble de maisons éparpillées situé à 20 km au nord-est de Salamyeh, dans le gouvernorat de Hama, au centre de la Syrie. Ici, le paysage plat et desséché dessine une mosaïque de parcelles couleur sable, ponctuée de quelques oliveraies. Lorsque j’y arrive, nous sommes déjà en fin d’après-midi, et la température a dépassé les 40 °C.
Les étés déjà étouffants de la Syrie sont intensifiés par le changement climatique. Depuis 1901, la température annuelle moyenne du pays a augmenté d’environ 2 °C, soit près de 1 °C de plus que la moyenne mondiale. Les experts estiment que d’ici à la fin du siècle, les températures pourraient y être supérieures de jusqu’à 6 °C par rapport aux niveaux actuels.
Dans les villages dans lesquels je me rends, les habitants se souviennent d’un paysage plus verdoyant. Hasan Yaghi me parle de l’époque où des hyènes et des cerfs parcouraient la périphérie de Lemsaraa. Fadel Istanbuli, évoque quant à lui deux ruisseaux qui passaient près de Bargan, ainsi que des vignobles et de la nourriture en abondance. Enfant, il se promenait dans des forêts naturelles de saf saf (saules) et de zeuzafoon (tilleuls). « C’était un vrai paradis », dit-il en levant les mains vers le ciel.
Tant de choses ont changé. Sous les gouvernements Assad, l’irrigation intensive et des cultures commerciales très gourmandes en eau ont été introduites dans le pays, ce qui a eu pour conséquence d’épuiser les nappes phréatiques à travers tout le territoire. Aujourd’hui, la chaleur extrême en Syrie entraîne une accélération de l’évaporation de l’eau. En l’absence de contrôle des autorités, les nappes sont surexploitées dans l’ensemble du pays. Les puits illégaux sont omniprésents. En outre, les précipitations annuelles moyennes devraient diminuer de 11 % au cours des 30 prochaines années. Les perspectives sont extrêmement inquiétantes. Pourtant, certaines communautés tentent de s’adapter face à ces défis.
À l’intérieur de sa serre, Aymen Qasem se fraie un chemin à travers des plants de poivrons qui lui arrivent à la taille, une vision rare d’abondance dans un paysage dessiné par la chaleur et la pénurie d’eau.
AKDN / Christopher Wilton-Steer
« Les serres sont l’avenir »
Aymen Qasem se fraie un chemin à travers des plants de poivrons qui lui arrivent à la taille. Dans cette serre tunnel de 50 mètres de long, les légumes poussent en abondance. Il commence à cueillir quelques poivrons d’un vert éclatant. Bientôt, il ne peut plus tous les tenir. Souriant, il m’en tend quelques-uns.
Aymen est installé à Taldara, un village situé entre Hama et Salamyeh. Comme 7 000 autres agriculteurs syriens, Aymen et sa coopérative bénéficient du soutien de la Fondation Aga Khan (AKF), qui leur fournit divers équipements et les forme à de nouvelles techniques. En plus de la serre, ils utilisent désormais des systèmes à énergie solaire pour pomper l’eau d’un puits, ainsi que des systèmes d’irrigation goutte à goutte et des engrais biologiques. « Les serres sont l’avenir », affirme Aymen, « elles minimisent la chaleur et retiennent l’humidité ». Je peux voir les bénéfices de mes propres yeux : les plants de poivrons qui poussent à l’intérieur de la serre tunnel sont deux fois plus haut que ceux cultivés en champ, tout en nécessitant deux fois moins d’eau.
Les plants de poivrons qui poussent à l’intérieur de la serre tunnel sont deux fois plus haut que ceux cultivés en champ, tout en nécessitant deux fois moins d’eau.
AKDN / Christopher Wilton-Steer
Avec le soutien de l’AKF, les agriculteurs trouvent de nouvelles façons de cultiver dans les paysages arides de la Syrie. Les serres et les systèmes d’irrigation à énergie solaire leur permettent de cultiver de nombreux légumes et de renforcer leurs moyens de subsistance.
AKDN / Christopher Wilton-Steer
De son côté, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) travaille avec le gouvernement pour restaurer plus de 45 000 hectares de systèmes d’irrigation à travers tout le pays afin de rétablir l’accès à l’eau pour près de 70 000 ménages. Bientôt, des réseaux de canaux achemineront à nouveau l’eau vers les zones agricoles. « Nous avons constaté une augmentation des superficies cultivées et une amélioration de la sécurité alimentaire », explique Jameson Zvizvai, chef de projets à la FAO. Son collègue Wael Al Derwish, spécialiste de l’irrigation, ajoute que ces mesures ont réduit les tensions liées à l’accès aux ressources en eau dans plusieurs régions, par exemple dans le gouvernorat d’Alep.
Le projet de la FAO, financé par le Royaume-Uni, intègre également des formations, la distribution de bons d’échange en espèces pour des activités de transformation agroalimentaire, ainsi que des initiatives de renforcement des systèmes d’alerte précoce (SAP). Ces actions soutiennent des dizaines de milliers d’agriculteurs dans les gouvernorats d’Alep, de Deir ez-Zor, d’Idlib, de Hama, de Homs et de Lattaquié et dans la campagne de Damas. « Ce projet est un véritable phare d’espoir », affirme Jameson.
Le gouvernement syrien bénéficie également du soutien d’autres organisations, notamment du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), pour l’amélioration de l’approvisionnement en eau et en énergie. La jeune administration du président al-Charaa cherche aussi à lutter contre la surexploitation des ressources en eau en modifiant la législation. Mais, après 14 ans de guerre civile, des sanctions et un récent séisme dévastateur, l’État syrien doit repartir de zéro. Répondre à l’ensemble des besoins nécessitera des décennies de mobilisation. Et le temps presse.
Ziad Ghaibor, habitant d’Al Qareb, à l’est de Salamyeh
De nombreuses personnes fuient le pays. « La migration est un sujet brûlant », souffle Ziad Ghaibor, habitant d’Al Qareb, à l’est de Salamyeh. « Notre cauchemar, c’est que la situation de cette année persiste. Si c’était le cas, je pense qu’un tiers du village pourrait partir dans les deux prochaines années. »
Alors que je m’apprête à quitter Rezak, nous parlons de l’avenir et de l’espoir qu’il nourrit pour ses enfants. Je lui demande ce qui l’aide à échapper au stress. Il se tait. Puis il se pince le haut de l’arête du nez. Je comprends alors qu’il est en train de pleurer.
Pour reprendre nos esprits, nous sortons dans son arrière-cour. Son pigeonnier, duquel des tuyaux s’étendent depuis ses murs coniques en terre, prend une teinte orangée avec le soleil couchant. À l’intérieur, Rezak attrape un pigeon blanc et élancé. Sa poitrine se gonfle dans sa main ferme. Il sourit.
Je me demande maintenant si ses pigeons, capables de voler et indifférents à la condition humaine, ne seraient pas la réponse à ma question.