India · 7 juin 2020 · 4 min
À Patna, capitale de l’État du Bihar, il n’y a jamais eu autant de déchets dans les rues. La Fondation Aga Khan (AKF) travaille ainsi auprès d’un groupe de « héros de l’ombre », des ramasseurs de déchets informels qui s’efforcent d’inverser la situation. Le but de cette initiative n’est pas seulement de contribuer à nettoyer la ville et réduire son empreinte carbone, mais aussi d’offrir à ces personnes, dont beaucoup sont des femmes et des mères, un emploi officiel, un salaire minimum et des conditions de travail décentes.
Lorsqu’on s’aventure dans la circulation de Patna, même pour un court trajet, le mot « cacophonie » prend un tout nouveau sens. Chaque coup de klaxon vient s’ajouter à une dissonance sonore constante. Dans ce capharnaüm qui ne respecte aucun code de la route connu, de très nombreux motocyclistes serpentent entre les autres véhicules et les piétons, dans l’espoir d’avancer plus vite qu’ils ne le font. Tout nouveau venu ne manquerait pas d’être déconcerté par cette animation, mais aussi par l’enchevêtrement de bâtiments qui bordent les routes et les monceaux d’ordures qui jonchent les rues. Patna est la capitale du Bihar, l’un des États les plus pauvres d’Inde, situé au sud du Népal. Une partie du Bihar d’aujourd’hui fut autrefois l’épicentre du pouvoir, de l’apprentissage et de la culture en Inde pendant environ un millier d’années. Malheureusement, cette époque glorieuse n’est plus qu’un lointain souvenir. L’économie locale de cet État enclavé et traversé par le Gange repose sur les secteurs des services et de l’agriculture, alors que son taux de croissance manufacturière serait l’un des plus faibles du pays.
La pauvreté urbaine y est accablante, et dans Patna, de nombreuses familles démunies vivent dans des maisons exiguës, parfois même dans une seule pièce. Ces personnes, qui peinent à gagner décemment leur vie, ont pour la plupart émigré des zones rurales à la recherche d’un meilleur moyen de subsistance, travaillant principalement dans le secteur informel, ne bénéficiant pas des services de santé publique et vivant sous la menace constante de l’expulsion. Parmi eux, une majorité de femmes et de mères passent des heures avec leurs jeunes enfants à parcourir les décharges à la recherche de déchets plastiques, de métaux, de composants électriques, de vêtements et de tout ce qui pourrait avoir de la valeur à la revente. Ces ramasseurs de déchets gagnent généralement à peine plus de 200 roupies par jour (moins de trois dollars) et travaillent souvent sept jours sur sept sous un soleil de plomb dans le seul but de survivre. Bien qu’ils offrent un service de recyclage aux habitants de la ville, ils n’obtiennent aucune reconnaissance et sont très rarement rétribués pour leur travail. Ils sont à la fois des parias sans espoir d’un meilleur avenir et des héros de l’ombre du recyclage.
Pour pallier cette situation, les conseils municipaux de Patna (ou « Urban Local Bodies », ULB) se sont associés à la Fondation Aga Khan et à GSSG, une organisation caritative locale, afin d’améliorer les services de gestion des déchets, de nettoyer la ville et de donner à ces ramasseurs de déchets un emploi officiel et leur faire bénéficier d’une couverture santé et d’autres services publics. Véritable bouffée d’oxygène pour ces ramasseurs informels, cette initiative laisse également entrevoir un avenir plus propre et plus sain pour les habitants de la ville et ses alentours. Les ramasseurs seront ainsi prestataires de services pour leurs communautés, travailleront dans des centres de tri construits par le gouvernement et dans des conditions décentes et gagneront un salaire minimum tout en valorisant les déchets. Ils travailleront auprès d’agents municipaux qui collecteront les déchets directement auprès des ménages et seront soutenus par des mobilisateurs communautaires qui encourageront les foyers à participer à ce programme.
L’amélioration de la santé publique, l’objectif principal de ce projet, s’appuiera sur trois composantes : le compostage des déchets verts ou alimentaires des ménages et des communautés, soit pour cultiver des fleurs et des légumes, soit pour vendre le compost produit, la collecte régulière des autres déchets solides et le tri des déchets recyclables. Ce nouveau programme contribuera à nettoyer les rues et à réduire drastiquement la taille des décharges de la ville. C’est un partenariat unique entre les secteurs public et à but non lucratif, dont le but est également d’impliquer le secteur privé afin de créer de meilleurs emplois, qui est à l’origine de cette initiative qui attire l’attention des résidents, des autorités locales et même du gouvernement central.
Voluntary recycling champions, given official status by UBLs.
AKDN / Patrick Sayer
Les partenaires prévoient désormais une collaboration avec le mouvement Fashion Revolution afin d’établir un système de valorisation des vêtements usés grâce auquel ces derniers seraient filés pour créer des produits commercialisables tels que des serviettes ou des torchons. Ils continueront en outre à chercher des solutions créatives à ce problème en apparence insoluble afin d’étendre l’approche à toute l’Inde et aux pays voisins. L’accumulation de déchets contribue largement aux émissions de gaz à effet de serre et donc au changement climatique. L’approche de ce projet s’appuie sur des modèles de gestion des déchets adaptables pour les centres urbains et contribuera de manière significative à l’amélioration de la santé publique et à la réduction du volume des déchets à mesure qu’elle sera reproduite au niveau national. Si une solution peut être apportée à ce problème en Inde, l’un des pays les plus peuplés du monde, les possibilités de reproduction d’une telle initiative dans d’autres pays s’annoncent ainsi très prometteuses.
Ce texte est une adaptation d’un article publié l’année dernière sur le site internet de la Fondation Aga Khan Royaume-Uni.