Pakistan · 11 novembre 2020 · 5 min
« Dans le domaine de l’éducation, le principe d’équité implique que chaque enfant reçoive ce dont il a besoin pour exploiter tout son potentiel académique et social. » - National Equity Project, États-Unis.
Chaque semaine, la Dre Anila Wasim* dispense un cours de renforcement des compétences académiques à ses étudiants de première année de licence. À l’origine, ce cours se déroule en présentiel, mais en raison de l’augmentation des cas de COVID-19, elle doit désormais travailler en ligne. Cette transition forcée a eu un impact considérable sur sa classe.
Elle explique notamment avoir observé un changement de comportement chez bon nombre de ses meilleurs étudiants. Par exemple, une étudiante qui participait auparavant très souvent ne s’exprime maintenant que rarement, une autre ne cesse de se connecter et de se déconnecter durant les sessions, tandis qu’une troisième a tout simplement arrêté de suivre le cours.
Inquiète de cette situation, elle a consulté les étudiantes concernées et découvert qu’elles faisaient toutes face à différents problèmes. La première suit ses cours depuis sa chambre qu’elle partage avec sa sœur et hésite ainsi à parler devant elle. La deuxième a des problèmes de connexion internet, ce qui provoque de fréquentes coupures sur Zoom et l’empêche de suivre certains points importants du cours. La troisième est retournée chez elle, dans le nord du Pakistan, mais n’a aucun accès à Internet.
Malgré la nature différente de leurs problèmes, ces étudiantes ont comme point commun de faire face à des facteurs indépendants de leur volonté qui nuisent à leur apprentissage. Pour pallier ces difficultés, la Dre Anila Wasim songe à enregistrer ses cours afin d’en envoyer une copie aux étudiantes concernées et encourage également ces dernières à participer en classe au travers de la fonction « chat » de Zoom. Avec ce système, elle veille à la tenue d’un environnement équitable pour tous ses étudiants au sein de sa classe virtuelle.
Le principe d’équité
Selon le principe d’équité, les enseignants doivent identifier et prendre en compte les obstacles auxquels certains étudiants peuvent être confrontés afin d’adapter leurs cours en conséquence. Depuis le début de la pandémie, ce besoin de créer des environnements d’apprentissage équitables s’est particulièrement fait ressentir. En effet, en raison des différentes phases de confinement, de nombreuses institutions ont été contraintes de fermer leurs portes et de passer à un système d’enseignement en ligne. Les élèves, parents et enseignants ont ainsi été nombreux à éprouver des difficultés à s’adapter à ce nouvel environnement en raison du caractère soudain de cette transition.
Dans une salle de classe traditionnelle faite de briques et de mortier, tous les élèves sont présents physiquement dans le même espace et ont accès aux mêmes ressources. Les enseignants ont un contrôle presque intégral sur cet environnement physique et peuvent observer leurs élèves et s’assurer que les objectifs d’apprentissage sont atteints. Cependant, lorsque ces mêmes élèves doivent se connecter à une classe virtuelle depuis leur domicile, il devient plus compliqué d’atteindre ces mêmes objectifs. En effet, ces derniers peuvent faire face à de nombreux facteurs extérieurs pouvant impacter leur environnement d’apprentissage. Dans ce contexte, il est donc nécessaire d’adapter les méthodes pédagogiques afin de répondre aux différents besoins des élèves.
Créer une classe virtuelle équitable
Afin de créer une classe virtuelle véritablement équitable, il est important de prendre en compte les nouveaux environnements de travail à domicile des enseignants et des élèves. La connectivité est l’un des facteurs qui impactent le plus l’accès aux classes virtuelles. Au Pakistan, par exemple, l’accès à Internet varie d’une région à l’autre, et la fracture numérique est particulièrement prononcée entre les zones rurales et les zones urbaines. Les professeurs de l’Université Aga Khan (AKU) ont été directement confrontés à ce problème, la majorité de leurs étudiants ayant dû retourner chez eux, dans des régions où l’accès à Internet est mauvais et où il est donc difficile de participer à une classe virtuelle. Pour pallier ce problème, l’AKU a collaboré avec les écoles du Service d’éducation Aga Khan, Pakistan (AKES,P) afin de permettre aux étudiants de l’Institut pour le développement de l’éducation (IED) et de l’École d’infirmières et de sages-femmes d’accéder à leurs salles informatiques dans la région du Gilgit-Baltistan et de Chitral.
Prendre en compte le milieu socio-culturel des élèves
Pour la Dre Dilshad Ashraf, professeure associée à l’IED et chercheuse spécialiste des questions de genre et d’équité, il est très important de prendre en compte le milieu socio-culturel des élèves et d’adapter les cours en conséquence. Cette nécessité implique non seulement de comprendre comment la situation géographique détermine l’accès à Internet, mais également les rôles genrés que les élèves sont censés assumer au sein de leurs communautés respectives. Elle explique par exemple que beaucoup de ses étudiants masculins qui sont retournés dans leurs villages natals doivent participer aux récoltes. De la même façon, de nombreuses étudiantes doivent elles contribuer aux tâches domestiques tout en suivant leurs cours. Les étudiantes comme les étudiants ne peuvent se soustraire à ces obligations et y consacrent une importante part de leur énergie et de leur temps.
En outre, alors que les étudiants peuvent parcourir de plus longues distances pour accéder à Internet, les étudiantes sont, elles, moins mobiles, et risquent donc davantage d’être en retard ou tout simplement absentes.
Étudier à son rythme
Dans le domaine de l’enseignement en ligne, il est recommandé de mettre en œuvre une méthodologie combinée d’enseignement synchrone, où l’instruction se fait en temps réel, et d’enseignement asynchrone, où les élèves reçoivent diverses ressources grâce auxquelles ils peuvent étudier à différents moments selon leur emploi du temps. Une telle combinaison permet aux élèves d’étudier à leur rythme tout en restant en contact avec leurs enseignants. Cette méthodologie ne peut cependant être mise en place que si l’enseignant concerné a connaissance des lacunes de ses élèves et de leur progression vis-à-vis du programme. La Dre Dilshad Ashraf a par exemple remarqué que les étudiants de première année de licence sont plus anxieux à l’idée de passer à l’apprentissage en ligne, car ils sont, à ce niveau, censés lire de nombreuses ressources et les analyser de manière critique. « On leur demande de devenir autonomes dans un environnement enseignement-apprentissage non conventionnel », explique-t-elle.
En effet, l’un des avantages principaux de l’enseignement classique en salle de classe est que les enseignants peuvent observer leurs élèves et déchiffrer leur langage corporel afin d’orienter leurs méthodes. Ils peuvent par exemple demander aux plus discrets de s’exprimer, ou mettre en place des activités de groupe, afin que tout le monde puisse prendre la parole. Le travail en binôme est également particulièrement important, car les élèves apprennent autant de leurs camarades que de leurs enseignants. Toutefois, il est plus difficile de mettre en place de telles activités dans le cadre d’une classe virtuelle, et les enseignants doivent faire preuve de créativité et mettre à l’essai différentes méthodes avant de trouver une solution adaptée à leur situation et à celle de leurs élèves.
Perfectionnement professionnel continu
Dans ce nouveau contexte, il est essentiel d’assurer un perfectionnement professionnel continu des enseignants. Selon la Dre Dilshad Ashraf, c’est grâce à la formation organisée par le Réseau enseignement et apprentissage (TL_net) qu’elle et ses collègues ont réussi à se familiariser avec la technologie.
Les professeurs de l’AKU utilisent des applications comme Padlet ou Google Drive afin que leurs étudiants puissent travailler ensemble en temps réel. Padlet est un simulateur de tableau blanc virtuel, tandis que Google Drive leur permet de collaborer sur des documents ou des présentations. Ces deux applications s’utilisent en temps T ; les étudiants peuvent ainsi contribuer aux travaux et voir ce que leurs camarades font en temps réel et travailler dans un environnement d’apprentissage qui se rapproche de celui auquel ils sont habitués. Une fois encore, il convient de préciser que l’accès à ces applications dépend des possibilités d’accès à Internet ou à un ordinateur des étudiants.
En fin de compte, pour garantir l’équité au sein de la classe virtuelle, les élèves comme les enseignants doivent être préparés à travailler dans un tel contexte. Ils doivent avoir accès à la technologie, savoir s’en servir et être capables d’utiliser des systèmes d’apprentissage virtuels. Les enseignants, eux, doivent garder à l’esprit que le genre et le milieu socio-culturel de leurs élèves peuvent impacter leurs possibilités d’accéder à ces environnements en ligne. Facteur tout aussi important, ils doivent créer un environnement favorable à l’apprentissage autonome. Ce n’est que dans un tel contexte que les élèves se sentiront à l’aise dans une classe virtuelle et s’intégreront réellement dans leur nouvelle communauté d’apprentissage.
S’ils souhaitent créer des classes virtuelles équitables, les enseignants doivent avant tout faire preuve de flexibilité et raisonner de manière réfléchie. Ils doivent également garder à l’esprit les différents besoins de leurs élèves et être capables de s’adapter à mesure que leurs cours se poursuivent. Alors que les institutions d’enseignement commencent à rouvrir leurs portes, le moment est opportun pour déterminer si les environnements des classes physiques sont réellement équitables. Tous les élèves ont accès aux mêmes ressources, mais viennent-ils tous de milieux similaires ? Serait-il donc juste de tous les placer sur un pied d’égalité, quelles que soient leurs difficultés ou leurs facilités ? Pour faire preuve de justesse - ou d’équité - envers tous leurs élèves, les enseignants doivent ainsi adapter leurs interventions en fonction de leurs besoins.
*Les noms ont été changés pour protéger l’identité des personnes mentionnées.
Ce texte est une adaptation d’un article publié sur le site internet de l’Université Aga Khan