Kyrgyz Republic · 28 mai 2020 · 3 min
Un tiers des zones forestières du Tadjikistan et de la République kirghize sont couvertes de genévriers. Dans les régions de montagne de moyenne et haute altitudes d’Asie centrale, les genévriers composent jusqu’à 80 % des forêts. Gulzar Omurova, chercheuse à l’Institut de recherche sur les communautés des régions de montagne (MSRI) de l’Université d’Asie centrale (UCA), est convaincue de la nécessité de développer un modèle durable de croissance et de productivité pour les forêts de genévriers, pour lesquelles il n’existe actuellement aucune base de données.
« Il nous manque des informations qui nous permettraient d’obtenir des données scientifiques plus poussées, comme le calcul de la productivité et les taux de croissance absolus des arbres à l’échelle individuelle », explique-t-elle. « Les arbres peuvent nous fournir de nombreuses informations vis-à-vis de la météo, du niveau de l’eau des rivières et de l’intensité des séismes et peuvent même nous permettre de savoir si les populations d’insectes et d’autres êtres vivants ont augmenté ou diminué au fil du temps. La nature fonctionnant par cycles de développement, de telles connaissances peuvent nous aider à créer des modèles et établir des prévisions. »
Gulzar Omurova analysing the annual rings of sample trees from West Zeravshan.
AKDN / Juniper Central Asia
Pour pallier ce manque d’informations, l’Institut de recherche sur les communautés des régions de montagne de l’UCA a lancé le « Juniper Central Asia Project » (Projet sur le genévrier en Asie centrale) en 2019 en collaboration avec un groupe de chercheurs allemands, kirghizes et tadjiks. Ce projet de deux ans est centré sur cinq domaines : la recherche socio-économique, l’analyse des cycles annuels, l’étude des zones de distribution et de la biomasse des forêts de genévriers par télédétection et la création de modèles de description des dynamiques de développement et de dégradation de ces forêts.
Gulzar Omurova s’intéresse quant à elle à la dendrochronologie, une discipline académique d’étude des arbres selon laquelle ces derniers sont les dépositaires vivants d’informations historiques très précises. Depuis l’année dernière, elle a recueilli et analysé les échantillons prélevés sur plus de 20 genévriers dans différentes zones de l’ouest de la vallée du Zeravchan, au Tadjikistan. Ses prélèvements couvrent une période de 126 ans s’étendant de 1893 à 2019.
Ces recherches aideront les spécialistes à préparer les différents modèles des processus d’érosion, d’équilibre hydrique et de productivité des forêts de genévriers, mais aussi à prévoir les changements potentiels de ces indicateurs à l’aide de données sociales et environnementales. Elles permettront en outre aux organes publics et aux communautés locales d’élaborer des solutions pratiques de gestion des ressources forestières. Les forêts jouent un rôle important dans la protection et la régulation des ressources en eau, mais également dans l’atténuation des catastrophes naturelles, contribuant par exemple à prévenir les ruissellements et les dommages causés par les inondations. L’urgence de trouver une solution, en particulier au Tadjikistan, où seulement 3 % du territoire est recouvert de forêts, se fait ainsi de plus en plus pressante.
Bien que les forêts fassent l’objet de programmes de protection spéciaux, leur condition ne cesse de se détériorer. « En raison de la surexploitation des pâturages et de l’abattage illégal, les taux annuels de déforestation dépassent la croissance de biomasse et la capacité naturelle de reboisement. Selon certaines estimations, les forêts de genévriers diminuent d’environ 2 à 3 % par an », explique Jyldyz Shigaeva, directrice de recherche au MSRI. « Si la couverture forestière continue de diminuer à ce rythme, cela n’entraînera pas seulement une désertification irréversible, mais provoquera également davantage de catastrophes naturelles qui menaceront les activités agricoles et les vies des communautés locales. »
L’équipe du projet a également mené une étude sur cinq villages tadjiks vivant près des forêts de genévriers. Une enquête réalisée auprès des ménages a ainsi révélé que les communautés locales préfèrent utiliser du bois de genévrier pour leurs différents besoins, mais qu’elles le prélèvent en grande majorité de manière illégale, seulement 5 % des ménages interrogés disposant d’une licence les autorisant à abattre les arbres malades. Les résultats montrent également que, dans le but de conserver leur charbon pour la période hivernale, les ménages favorisent le bois de genévrier le reste de l’année (environ 30 à 40 % du budget des familles est réservé à l’achat de charbon). Les dimensions culturelles semblent également jouer un rôle important dans cette consommation : les ménages interrogés ont en effet rapporté utiliser le genévrier pour faire cuire leur pain, le bois lui conférant, selon eux, un goût particulier.
Selon les résultats d’une analyse socio-économique préliminaire globale, ces pratiques ne sont pas durables pour la croissance des forêts. Cette année, l’équipe du projet continuera de recueillir des données afin d’identifier les pratiques les plus destructrices, de trouver des solutions alternatives et de contribuer à planifier la gestion des ressources forestières de manière plus durable. « À l’heure actuelle, les forêts de genévriers sont considérées comme des ressources gratuites et inépuisables, et si cette situation perdure, elles auront disparu avant même que les générations futures puissent espérer les voir sur les flancs de montagne », explique Jyldyz Shigaeva.
Au cours des 30 dernières années, aucune initiative significative n’a été mise en place afin de recenser de manière exhaustive et de surveiller la biodiversité, les écosystèmes et les forêts au Tadjikistan. De ce fait, les mesures de protection de l’environnement et les méthodes de gestion des ressources forestières s’appuient sur des données obsolètes et de simples estimations.
Dans un tel contexte, les travaux du projet lancé par le MSRI joueront un rôle très important : les modèles, les résultats de la télédétection et les données sur la croissance de la biomasse forestière permettront aux chercheurs de créer des représentations visuelles qui les aideront à comprendre où et comment les forêts de genévriers se régénèrent ou diminuent, et d’ainsi déterminer dans quelles zones les contrôles doivent être renforcés ou des mesures préventives mises en place.