India · 26 janvier 2020 · 4 min
Prendre des décisions relatives à la conservation de sites et monuments historiques nécessite une compréhension parfaite de leur structure, des connaissances qu’on ne peut acquérir qu’au travers de la lecture de documentations architecturales, d’analyses structurelles et de recherches archivistiques. Toutefois, les organisations spécialisées peuvent désormais activement gérer et préserver des sites historiques en s’appuyant sur les technologies de numérisation modernes, qui permettent l'élaboration de dessins techniques et de cartes détaillées facilitant la mise en œuvre d'importants travaux de conservation. En effet, alors que cette intervention nécessitait auparavant plusieurs semaines à une équipe de chercheurs, il est aujourd'hui possible d’étudier des sites en deux ou trois jours, et d’en élaborer une modélisation 3D précise et haute définition à l’aide de puissants algorithmes.
Delhi, Inde : balayage laser 3D et initiative de rénovation urbaine de Nizamuddin
À Delhi, avant d’entreprendre des travaux de restauration sur la tombe de Humayun et la pépinière de Sunder, le Trust Aga Khan pour la culture (AKTC) a utilisé les techniques de balayage laser 3D et de photogrammétrie par drone afin de modéliser de manière détaillée et réaliste ces sites et d'obtenir des informations essentielles à la réalisation de cartographies de leurs dommages, défauts et problèmes structurels. Des faisceaux laser ont ainsi été projetés sur les monuments afin de créer un ensemble de données précis et complexe, utilisé par la suite pour créer des modélisations 3D solides et des dessins 2D détaillés. C’était la première fois que la technologie de balayage par laser, qui fut inventée à l’origine pour détecter les fuites dans les centrales nucléaires, était utilisée dans le cadre de travaux de conservation en Inde.
Using drone technology, an aerial digital scan over Humayun’s Tomb and Garden Complex captured this point cloud of data.
AKDN / Courtesy of the Aga Khan Trust for Culture
Cette technique a également été utilisée afin de documenter plusieurs monuments de la zone du basti de Nizamuddin dès le début du projet, dont les sites classés au Patrimoine mondial de l’UNESCO de la tombe de Humayun, de la tombe-jardin d’Isa Khan, de Nila Gumbad, de Sabz Burj, de Chausath Khamba, ainsi que tous les bâtiments du complexe funéraire de Nizamuddin.
Tous les monuments du complexe ont ainsi été documentés à l’aide d’un balayage laser 3D, dont les résultats ont été transférés dans AutoCAD (un logiciel de conception assistée par ordinateur utilisé par les architectes, les ingénieurs et les professionnels de la construction pour créer des dessins 2D et 3D précis) afin d’obtenir une visualisation de la véritable forme de leur dôme et d’autres de leurs caractéristiques. Cette initiative a permis la réalisation d'une expertise détaillée du complexe, notamment d'une inspection pierre par pierre de toute sa façade dans le cadre de laquelle chaque pierre fut enregistrée individuellement, l’analyse de son état et la planification de réparations spécifiques.
Lahore, Pakistan : les technologies numériques et les 400 ans d’histoire du mur illustré
Le mur illustré est l’un des symboles du site du Fort de Lahore, qui est classé au Patrimoine mondial de l’UNESCO. Construit il y a environ 400 ans au cours de la période moghole, il constitue l’une des plus grandes fresques du monde. Ce monument de 460 mètres de long arbore des anges, des démons, des dragons, des fées, des animaux et des humains et témoigne de la splendeur et de la prééminence des Moghols à l’apogée de leur empire. En mai 2019, le Trust Aga Khan pour la culture (AKTC) et l’Autorité de la ville fortifiée de Lahore ont terminé la conservation de sa façade ouest, longue de 73 mètres, à l’aide de techniques de documentation numériques contemporaines comme le balayage laser 3D et la photogrammétrie par drone.
Fort de la réussite de ce premier projet, validé par des évaluateurs indépendants, le Trust a lancé un processus de documentation architecturale complet et multidimensionnel sur les segments restants du mur. Ce processus de documentation représente un réel enjeu en raison des exigences physiques et des besoins de conservation qu’il implique. En outre, la seule documentation existante du mur se trouve dans un livre de 1920 intitulé Tile-mosaics of the Lahore Fort (Les carrelages en mosaïque du Fort de Lahore), écrit par J. P. Vogel. À l’époque, ces panneaux de carrelages émaillés arrangés en mosaïque furent documentés sur une période de cinq ans par des dessinateurs autochtones qui les retraçaient manuellement. Vogel écrivait : « Les panneaux supérieurs de la façade de 16 mètres de haut ne pouvaient être atteints qu’à l’aide d’échelles en bambou. Leur reproduction manuelle au cours des plus chauds mois de l’été s’est révélée d’une extrême difficulté. » Désormais, un siècle plus tard, les méthodes de documentation ayant évolué, elles nécessitent bien moins de temps et permettent l’obtention d’un résultat très précis.
L’architecture historique du mur est ainsi associée à des technologies contemporaines dans une région où une telle combinaison est rarement observée. Ce projet témoigne de la façon dont il est possible de documenter un complexe moghol monumental et sophistiqué, de la perspective globale du site jusqu’à ses plus petits détails, à l’aide de plusieurs technologies telles que la mesure de distance par télémétrie, le balayage laser 3D et la photogrammétrie par drone. En termes simples, le tracé est désormais effectué par un pointeur laser émis par une machine contrôlée par un géomètre. Les nuages de points et rendus et plans en filaire ainsi obtenus aident les architectes à mieux comprendre les matériaux et les techniques de construction d’origine et à élaborer des propositions plus appropriées et adaptées à l’édifice. Cette intervention est réalisée par une équipe locale formée par le Service culturel Aga Khan, Pakistan, filiale du Trust dans le pays. Ce projet a également entraîné un impact social plus important dans la sphère locale pour les individus marginalisés.
Ce qui demandait autrefois des mois de traçage manuel à l’aide d’échelles en bambou et dans la chaleur estivale écrasante du sous-continent ne nécessite plus que quelques semaines de traçage numérique à l’aide de télémètres et d’une modélisation tridimensionnelle de l'intégralité des édifices grâce à un balayage laser 3D et l'utilisation de drones. Le Trust souhaite continuer de développer et d’optimiser ses méthodes de documentation numériques tout en utilisant d’autres technologies utiles, telles que le balayage infrarouge, afin d’améliorer le processus et de mettre en œuvre des projets de conservation du patrimoine encore plus précis.