Uganda · 9 mars 2021 · 5 min
En Ouganda, lorsque les membres de l’école maternelle islamique d’Arua se sont lancés pour la première fois dans une approche de conception centrée sur la personne (HCD) dans le cadre du programme Schools2030, ils ne savaient pas quelle direction prendre. Schools2030 est un programme décennal et participatif de recherche-action et d’amélioration de l’apprentissage dirigé par un consortium mondial de neuf partenaires, dont la Fondation Aga Khan (AKF), et dans le cadre duquel participent 1 000 écoles publiques de 10 pays. Processus de conception qui place l’utilisateur au premier plan, la HCD repose sur des principes directeurs qui exigent une implication de la communauté dès le début du projet afin de l’aider à co-identifier ses propres problèmes et à se réapproprier sa capacité à apporter des changements. C’est ainsi que l’équipe de l’école maternelle islamique d’Arua a entrepris de consulter la population locale pour connaître les difficultés auxquelles ses enfants pourraient être confrontés en matière d’éducation.
Travaillant au sein de l’école primaire islamique d’Arua - l’une des 12 écoles d’Arua sélectionnées pour faire partie de la cohorte Schools2030 de 2020 - le personnel du centre communautaire de développement de la petite enfance savait qu’avec les fermetures des écoles entraînées par la pandémie, les parents avaient du mal à occuper leurs enfants de manière sûre et productive. L’équipe a ainsi décidé de se concentrer sur les enfants des familles les plus précaires et nécessitant un soutien plus fort pour traverser cette période difficile.
Pour mener leur projet, les membres de l’équipe se sont rendus dans la cellule de Waliya, une communauté située au centre de la ville d’Arua, où ils ont rencontré et consulté plusieurs parents, dont Adam Anyole, père du petit Murshid, six ans. Adam et sa femme travaillent tous deux loin de leur domicile et, à l’époque de la rencontre, laissaient leur fils sous la surveillance de sa grand-mère, qui ne parvenait pas à contenir l’énergie de l’enfant. Par conséquent, Murshid passait la plupart de son temps à errer dans les rues avec des garçons plus âgés et s’exposait à de nombreux dangers ; il risquait non seulement de se perdre, mais également de côtoyer, sans le savoir, les milieux de la drogue ou de la criminalité. Lors des entretiens, d’autres parents ont admis qu’ils faisaient eux aussi face à des conditions similaires et souhaitaient assurer la sécurité de leurs enfants pendant leur absence, mais peinaient à trouver du temps en raison de leurs obligations professionnelles.
Après cette première phase, les membres de l’équipe ont pu identifier le problème et l’exprimer sous la forme d’une question : « Comment pourrions-nous trouver une alternative sûre et stimulante pour occuper les enfants lorsqu’ils ne sont pas à l’école ? » Après une période de réflexion, ils ont développé l’idée d’un centre de jeu communautaire. M. Yamandu, le responsable de la maternelle, et son équipe ont découvert que l’une des principales raisons qui poussaient les jeunes enfants à errer dans les rues était le manque de matériel de jeu au sein des communautés. Lorsqu’ils ont élaboré leur projet, ils ont estimé que si un centre de jeu venait à être créé, il permettrait aux enfants de rester dans un lieu sûr où ils pourraient jouer et apprendre avec leurs camarades dans un environnement propice et stimulant, ce qui maximiserait leurs chances de rester scolarisés.
Lors de la phase de mise en œuvre, les parents participants ont collecté un total de 150 000 shillings ougandais (41 dollars) destinés à l’achat de matériels de jeu et d’apprentissage, tandis qu’un doyen de la communauté, M. Mustafa Khemis, a mis gratuitement à disposition un espace dans ses locaux pour accueillir le centre. Gratuit et ouvert deux fois par semaine, le centre accueille actuellement plus de 25 enfants âgés de 3 à 8 ans.
Les parents qui le peuvent viennent surveiller les enfants, tandis que les enseignants de la communauté se portent volontaires pour leur enseigner les bases de la lecture, de l’écriture et du calcul à l’aide de méthodologies d’apprentissage par le jeu. En outre, plusieurs membres de la communauté ont fourni gratuitement divers articles comme de vieilles boîtes en métal, des fibres de banane et des sacs en sisal à utiliser pour organiser des jeux, ainsi que des jouets comme des petites voitures, des cordes, des chapeaux de paille et des poupées. La création du centre a entraîné la mise en place d’autres services au sein de la communauté. Par exemple, les agents de santé du village ont proposé d’offrir un suivi médical gratuit aux enfants.
L’impact du centre, qui a été très bien accueilli par la communauté, se fait déjà ressentir. Mboni Bruhani, un chef de communauté de la cellule de Waliya, précise : « … les jeunes enfants n’errent plus sans but dans les rues. Même si le centre n’a rien d’officiel, il leur permet de se retrouver pour jouer... » Il a remarqué que les enfants eux-mêmes deviennent des ambassadeurs du centre en parlant du projet à leurs amis d’autres communautés. Certains ont également observé que ces derniers s’intéressent à leur environnement en allant recueillir des matériaux dans leur entourage afin de jouer avec.
Les enfants plus âgés ont également commencé à fréquenter l’établissement, à l’instar des parents, qui s’impliquent de plus en plus dans la vie du centre en proposant notamment de stocker les jouets chez eux. L’équipe du projet est très optimiste et s’attend à ce que les enfants continuent de venir au centre afin de jouer et d’apprendre dans un environnement sûr tout en acquérant des compétences essentielles comme la créativité, la résolution de problèmes et la collaboration.
Le centre de jeu démontre ce qui peut être accompli lorsque des acteurs locaux s’unissent pour résoudre leurs propres problèmes. Avec le soutien du programme Schools2030, des communautés scolaires comme celle de l’école primaire islamique d’Arua obtiennent des outils afin d’identifier leurs propres besoins et d’élaborer des solutions qui pourront être suivies dans le temps grâce à l’analyse des résultats d’apprentissage des enfants. Ainsi, ces modèles locaux peuvent être appliqués dans d’autres contextes et ont le potentiel de catalyser un changement systémique grâce à l’implication d’acteurs ayant la capacité de transmettre les bonnes pratiques qu’ils tirent de leurs projets à la communauté internationale. En permettant aux communautés de jouer un rôle déterminant dans la résolution de leurs propres problèmes, les chances que les solutions élaborées soient réalisables, applicables et puissent perdurer au-delà de la durée du programme sont bien plus importantes.
Cependant, l’objectif fondamental reste d’aider les enfants, de garantir leur sécurité, de les éduquer et de les placer sur la voie de la réussite scolaire. Dans cette optique, il est important de garder à l’esprit que ce qui peut sembler n’être qu’une petite victoire pour certains peut véritablement transformer la vie des autres.
À propos de Schools2030
Schools2030 a pour objectif de permettre aux enfants et aux jeunes de bénéficier d’un apprentissage ludique, actif et holistique afin qu’ils développent les connaissances, les compétences et les comportements dont ils auront besoin pour devenir des membres créatifs, résilients et prospères d’une société plus pluraliste et inclusive. Les acteurs du programme s’efforcent d’élaborer des solutions éducatives qui, bien qu’ancrées à l’échelle locale, ont le potentiel d’influencer les décisions prises au niveau des systèmes éducatifs nationaux. Pour ce faire, le projet a pour objectif de transmettre aux enseignants participants des compétences en « design thinking » (réflexion conceptuelle) qui les aideront à poser les bonnes questions, à impliquer leurs élèves dans l’exploration de problèmes, à élaborer des solutions sur la base des données de leurs propres classes et à concevoir et reproduire des solutions adaptées à leur contexte. Au travers de cette approche de conception centrée sur la personne (HCD), les enseignants participants élaboreront des solutions pertinentes afin de faire face aux défis quotidiens auxquels eux et leurs élèves sont confrontés.