par Professeur Francis Omaswa, Kampala, Ouganda · 8 février 2020 · 7 min
Monsieur le président Firoz Rasul,
Monsieur l’Ambassadeur Amin Mawji,
Chers membres du conseil d’administration de l’Université Aga Khan,
Chers membres du gouvernement et du corps diplomatique,
Chers membres du corps enseignant et du personnel de l’Université,
Chers invités,
Et par-dessus tout, chers futurs diplômés,
Bonjour. Quelle joie d’être parmi vous aujourd’hui pour célébrer la remise des diplômes de la promotion de 2019.
La réputation de l’Université Aga Khan (AKU), ici en Ouganda, mais aussi de ses hôpitaux à Nairobi et tout autour du monde n’est plus à faire. Nous attendons ainsi avec impatience la fin de la construction du nouveau Centre hospitalier universitaire Aga Khan de Kampala, un projet très prometteur à nos yeux. Cet établissement contribuera sans l'ombre d'un doute à élever la qualité des soins, à former les futurs leaders du secteur de la santé et à créer de nouvelles connaissances nécessaires pour faire face à certains des enjeux sanitaires les plus importants du pays. Il viendra également étoffer les possibilités des Ougandais qui chercheront à se faire soigner.
Chers futurs diplômés, mon discours d’aujourd’hui vous est particulièrement destiné. Je m’adresse à vous, qui vous apprêtez à entamer vos parcours respectifs dans le domaine médical ici en Ouganda, en Afrique et dans le monde. Permettez-moi de commencer par une question : où vous voyez-vous dans 20 ou 30 ans ? Je suis sûr que vous y avez déjà réfléchi. Maintenant, je vais partager avec vous quelques réflexions que je tire de mes 50 ans d’expérience.
J’ai obtenu mon diplôme de médecine en 1969, il y a à peine plus de 50 ans. Pour moi, la médecine n’est pas qu’une profession, c’est une passion. Aujourd’hui, je ne suis pas venu faire l’éloge de ma carrière, mais plutôt vous encourager à faire mieux que moi lorsque j’étais à votre place. Je vais donc émettre quelques suggestions qui peuvent vous être utiles.
Premièrement et avant toute autre chose, je vous encourage à prendre soin de vous et à faire preuve de discipline personnelle. Appréciez à leur juste valeur les choses les plus simples comme vous laver, bien manger, bien vous habiller et faire des rencontres. Tissez des liens avec les personnes qui vous aideront à faire avancer votre carrière. Rejoignez des associations professionnelles et devenez-en des membres actifs. C’est dans de tels contextes que vous rencontrerez des personnes qui vous élèveront vers de nouveaux sommets, plutôt que de vous tirer vers le bas.
Deuxièmement, je vous invite vivement à faire preuve d’excellence dans toutes vos entreprises. Faites toujours tout ce qui est en votre pouvoir pour atteindre vos objectifs. Je pense aux grandes comme aux plus petites choses, celles de la vie de tous les jours. Gardez à l’esprit que ce que vous faites bien aujourd’hui, vous pourrez le faire mieux demain. C’est un principe que l’on appelle amélioration continue de la qualité dans la sphère de la gestion de la qualité. De cette façon, vous vous élèverez professionnellement et socialement.
Troisièmement, vous devez renforcer vos aptitudes relationnelles, réussir à vous faire une place dans un monde extrêmement complexe. Lorsque j’étais écolier, j’ai découvert le livre Comment se faire des amis. Il m’a été d’une grande aide, et je recommande depuis aux plus jeunes de le lire. Dans vos vies, vous allez être amenés à rencontrer des personnes très différentes ; certaines seront amicales et sympathiques, d’autres seront au contraire désagréables et agressives. Vous allez être amenés à rencontrer des personnes généreuses et d’autres avides et méchantes, et vous devrez toujours faire preuve d’excellence et mener à bien vos projets parmi cette population diversifiée et complexe.
J’ai personnellement constaté que si l’on adopte une attitude positive, si l’on a tendance à aider les autres, et que l’occasion d’aider quelqu’un en particulier se présente, il n'y a aucune raison de ne pas le faire. Je me suis en effet aperçu qu’il est préférable de travailler dans l’intérêt général plutôt qu’uniquement pour soi. Une fois que les personnes qui nous entourent s’aperçoivent que l’on travaille en faveur de toute la population, sans s'oublier pour autant, elles nous donnent de plus en plus de tâches à effectuer au nom de toute la communauté, ce dont on bénéficie également. Il s’agit de la meilleure façon de devenir un leader.
Vous devez également vous préparer et apprendre à mener des batailles contre les autres au cours de vos vies, car vous connaîtrez forcément des désaccords. Si vous adoptez une attitude positive et que vous travaillez dans l’intérêt général, votre point de vue aura de la valeur, vous saurez argumenter calmement et avec sang-froid et, la plupart de temps, vous gagnerez.
Ne vous montrez pas rancuniers et de mauvaise humeur, car vous seuls souffrirez du stress et de la tension que ces états d’esprit entraînent, et non la personne envers qui vous avez quelque ressentiment. Si vous n’éprouvez pas de rancœur et que vous travaillez dans l’intérêt général, même ceux qui étaient à l’origine en désaccord avec vous reviendront travailler à vos côtés. Je peux vous affirmer que c’est ainsi que vous consoliderez votre leadership aux yeux des autres, croyez-en ma longue expérience.
Quatrièmement, il est essentiel que vous fassiez preuve d’intégrité. Cela signifie que vous devez faire ce qui est juste, de la bonne manière et ce tout le temps, que quelqu’un vous regarde ou non. Vous pourrez y parvenir une fois que les trois premiers principes que j’ai mentionnés précédemment seront acquis et intégrés dans vos vies.
Mes chers amis, je me dois de vous avertir que, même si vous vous tenez à ces principes, tout ne se passera pas forcément comme vous le voudrez. Vous ou vos collègues ferez invariablement des erreurs, et votre travail en pâtira parfois. Je vous demande de ne pas laisser ces erreurs vous dérouter de votre objectif à long terme. Acceptez-les, faites-les vôtres et servez-vous-en pour devenir plus forts. Même si c’est une autre personne de votre équipe qui commet une erreur, prenez-en la responsabilité et demandez-vous, « que dois-je faire pour ne pas que cela se reproduise ? ». Vous devrez peut-être aider le ou la collègue responsable de cette erreur à réparer ses torts afin que plus personne dans votre équipe ne la reproduise. Si vous êtes amenés à occuper un poste dirigeant, vous serez responsables de tout, y compris des erreurs des personnes sous vos ordres. Il vous incombera donc de vous assurer personnellement qu’ils ne réitèrent pas leurs fautes.
Il y a quelques semaines, j’ai prononcé un discours au Rotary Club de Kampala intitulé The World is Watching (Le monde vous regarde). Le message principal de mon allocution était que quoi que l’on fasse, dans la sphère privée comme publique, le monde entier observe et juge nos moindres faits et gestes. C’est cette opinion qui détermine notre avenir.
Si vous consacrez votre vie à appliquer les quatre principes que j’ai évoqués plus tôt, il est fort à parier que la plupart des personnes aient un avis positif à votre égard. Il est également très probable qu’il vous arrive de bonnes choses sans même que vous l’ayez souhaité. Je vais vous citer quelques exemples tirés de mon expérience personnelle.
J’ai occupé la plupart de mes postes sur invitation. Alors que je venais de terminer mes études pour devenir chirurgien cardiothoracique au Royaume-Uni et que j’avais pour projet de vivre là-bas de manière permanente avec ma famille, le gouvernement kenyan envoya un chirurgien en chef chez moi pour me demander de venir diriger le programme de chirurgie à cœur ouvert à Nairobi.
Une fois à Nairobi, je constatai qu’il y avait encore beaucoup de problèmes à Kampala - il y avait une guerre en Ouganda. J’aurais pu vouloir retourner au Royaume-Uni, car ma carte de résidence permanente était toujours valide. Toutefois, avec l’Association des chirurgiens d’Afrique de l’Est, ma famille et moi sommes partis vivre près d’un petit hôpital de mission pour tenter de trouver la meilleure façon de fournir des services de qualité aux personnes défavorisées des régions rurales, notamment en matière de soins chirurgicaux. Voilà un exemple de ce que j’entends par « travailler dans l’intérêt général ».
Plus tard, lorsque le Président Yoweri Museveni arriva au pouvoir, on nous demanda d’aller à Kampala, malgré notre volonté de rester dans le petit hôpital de mission. Ma femme prit la tête du service d’anesthésie de l’Hôpital Mulago, tandis que j’entrai à l’Université Makerere en qualité de directeur fondateur de l’Institut cardiologique d’Ouganda. Je pourrais évoquer d’autres postes auxquels j’ai été nommé, mais le message resterait le même : si vous travaillez dans l’intérêt général et que vous faites preuve d’excellence, toutes ces choses seront à vous autant qu’elles ont été à moi.
Gardez à l’esprit que le monde vous regarde.
Enfin, étant donné que la plupart d'entre vous recevez aujourd’hui un diplôme en sciences infirmières et en maïeutique, je souhaiterais vous féliciter tout particulièrement. L’Assemblée mondiale de la Santé a désigné 2020 comme année internationale des sages-femmes et du personnel infirmier, voilà pourquoi la cérémonie d’aujourd’hui revêt une importance spéciale.
Dans le cadre de la campagne mondiale « Nursing Now », dont je suis membre du conseil d’administration, nous encourageons le personnel infirmier et les sages-femmes à se placer en première ligne et à prendre plus de responsabilités au sein du système de prestation de services, et ce afin d’atteindre les Objectifs de développement durable et une couverture sanitaire universelle.
Je suis personnellement convaincu que mettre en place un système de santé primaire centré sur l’humain et dirigé par le personnel infirmier et les sages-femmes en Ouganda nous permettra d’atteindre au plus vite une couverture sanitaire universelle grâce à laquelle plus personne ne sera laissé pour compte, et ce avec les ressources actuellement à notre disposition.
J’ai notamment écrit un article sur ce sujet qui figure dans la dernière édition de l’Africa Health Journal. J’y explique comment le personnel infirmier peut aider notre pays à atteindre une couverture sanitaire universelle en prodiguant des soins primaires intégrés en collaboration avec les équipes sanitaires qui œuvrent dans nos villages. Ce système de santé primaire centré sur l’humain est également évoqué dans un slogan que nous avions l’habitude d’utiliser lorsque j’étais directeur général des services de santé : « la santé s’entretient chez soi et n’est réparée dans les établissements de santé que lorsqu’elle montre des dysfonctionnements ».
Chers futurs diplômés, je souhaite que vous ne fassiez jamais de compromis dans vos efforts visant à fournir les meilleurs soins possibles. Aidez les autres à faire valoir leur droit à des soins de qualité. Répandez ce message selon lequel la santé s’entretient avant tout chez soi. Si nous faisons tout cela, bientôt un autre slogan deviendra réalité en Ouganda : « C’est l’Ouganda. À quoi vous attendiez-vous ? L’excellence avant tout. »
Chers futurs diplômés, je vous félicite vous et vos familles ! J’espère que vous suivrez quelques-unes de mes recommandations et que, à l’avenir, vous deviendrez tous des leaders à l’échelle internationale.
Merci.