par les membres du Grand jury de 2007, Indisponible · 6 septembre 2007 · 4 min
Le Jury du Prix Aga Khan d’Architecture 2007 reconnait le rôle de l’environnement bâti dans la définition des mondes vécus par les sociétés musulmanes contemporaines. Le défi était de juger la négociation complexe que l’architecture conduit entre, d’une part, le sentiment de satisfaction et de familiarité qu’un édifice - un foyer - produit et, de l’autre côté, les ambitions et filiations mondaines que ne limitent ni les murs de clôture, ni les limites du village, ni les frontières de la nation. Nous avons présélectionné pour des rapports in situ, 27 projets sur 343 nominés, et finalement proposé neufs pour recevoir le prix.
Au lieu de grouper ces projets sous un thème commun, ou tenter de les juger par référence à une mesure stricte de qualité, nous avons retenu un système de principes pour notre orientation et information. Nous nous sommes considérés comme des conservateurs lesquels, en plaçant ces projets les uns à côté des autres, espèrent communiquer le sentiment de leurs attributs spécifiques, leur enracinement dans le lieu tout en leur montrant leur sens général.
Parmi les principes au moyen desquels nous avons tenté de transformer les attentes produites par le Prix:
Sociétés musulmanes /Réalités musulmanes: C’était un privilège pour nous d’être placés devant des projets architecturaux soulevant des questions importantes sur une umma démocratique et dialogique. De nombreux projets se situent sur le terrain problématique pris entre les maisons traditionnelles et les mouvements diasporiques, admettant que les réalités musulmanes en sont arrivées à être enracinées dans les circonstances historiques et sociales en rupture avec leurs conditions habituelles, qu’elles soient nationales ou traditionnelles. Il ne s’agit pas là d’un rejet des valeurs et traditions, mais plutôt d’un moment favorable pour une révision culturelle et pour la communication interculturelle. Le changement et des conditions imposant des défis relèvent des deux mondes, mais la formation de la contemporanéité, la rapidité du changement, le conflit des valeurs et les contingences de l’identité et de la solidarité peuvent être différents. Comment donc devrions-nous évaluer un nouveau schéma de logement dont la disposition de l’espace permet d’accueillir d’une manière harmonieuse et homogène une faction gouvernée par un pouvoir et une autorité patriarcales ? L’excellence en architecture nous autorise-t-elle à juger ce qui pourrait, ou ne pourrait pas, représenter la qualité de la vie ? Une telle enquête dialogique, imprégnée d’une remarquable connexion et visibilité, pourrait fournir une alternative au futile « clash des civilisations ».
Restauration, conservation et contemporanéité: Auparavant, le Prix Aga Khan d’Architecture a été perçu comme étroitement lié à la restauration et la conservation de grands monuments Islamiques. La pratique effective des jurys dément cette impression. Nos discussions nous ont menés à nous demander: Les techniques de conservation et de restauration sont-elles opposées
aux nécessités de la contemporanéité ? Comment devrions-nous mesurer la pratique el la performance architecturales ?
La conservation et la restauration ne doivent pas nécessairement faire partie de la volonté de conserver le passé dans les vitrines du temps et de la mémoire, telles des antiquités fixées dans le temps !
La durée de vie des matériaux utilisés pour les monuments anciens se révolte contre la « conservation », du fait que lorsque les matériaux se décomposent ils doivent être recrées. Les compétences technologiques doivent être ré-inculquées et enseignées de nouveau à chaque génération d’artisans, de nouvelles techniques d’ingénierie et de nouveaux produits chimiques doivent être inventés en rapport avec les techniques et technologies du passé. La restauration est un travail en constante progression ou, selon l’expression préférée du jury, un travail constamment en cours.
Echelle et variété: La réalité musulmane contemporaine n’est pas simplement diverse et transitionnelle, comme le font croire les clichées de la globalisation. En tant que jury nous avons été mis au défi d’ajuster nos outils critiques et conceptuels alors même que nous avancions à travers le paysage de l’umma et ses créations et pratiques architecturales. L’échelle n’est pas seulement un problème particulier à la pratique et à la connaissance architecturale. L’échelle de l’umma contemporaine révèle des différences profondes entre sites et localités, communautés rurales, petites villes, agglomérations industrielles, maisons privées, institutions publiques qui requièrent à la fois de l’imagination et des interventions pratiques, matérielles. L’échelle est une intervention architecturale qui répond à la spécificité du site tout en créant - ou en construisant - en même temps un sentiment de localité. Dans ce sens, l’échelle est une question éthique.
Pérennité: La pérennité oppose le grandiose de nos ambitions à l’échelle des ressources naturelles disponibles et appropriées. Jusqu’à quelle hauteur devrons-nous construire ? En quoi nos schémas pour tel paysage particulier, tel climat, tel besoin ou intérêt humain sont-ils convenables ? La pérennité, comme échelle de jugement esthétique et politique, crée une architecture qui ne porte pas seulement sur un ou des édifices, mais plutôt sur la création d’un environnement pour la survie et le bien-être, l’expression partagée et la solidarité, lequel est intolérant à l’égard des prétentions autoritaires et exclusives de souveraineté.
Notre perception de l’ «excellence» architecturale a nécessité l’examen scrupuleux de ce qui fait la singularité de chaque projet, ses matériaux, ses solutions en matière de conception, sa réalisation physique et conceptuelle, ses attributs fonctionnels, en même temps que la création d’un récit aspectuel qui révèle les différentes facettes qui se rapportent et se reflètent les uns les autres. Comme curateurs, nous avons choisi des projets qu’on peut placer chacun à côté de l’autre, juxtaposer de manière à rendre visible la spécificité, la localité et quelque chose de plus, une communauté partagée d’excellence.
Homi Bhabha, Okwui Enwezor, Homa Farjadi, Sahel Al-Hiyari, Shirazeh Houshiary, Rashid Khalidi, Brigitte Shim, Han Tümertekin, Kenneth Yeang (Genève, juin 2007)