par Son Altesse l'Aga Khan, France · 20 janvier 2012 · 15 min
Dossier spécial n°134, développement : pour un partenariat global – hiver 2011-2012 Document reproduit avec l’aimable autorisation de Politique Internationale.
Je suis heureux de l’occasion qui m’est donnée de partager avec vos lecteurs quelques réflexions sur les problématiques de développement dans différentes régions du monde, en particulier sur les difficiles questions de la pauvreté et de l’inégalité.
Qu’il me soit tout d’abord permis de dire quelques mots sur mon parcours, personnel et institutionnel. Je suis né au sein d’une famille musulmane liée par filiation au Prophète Mahomet (que la paix soit sur lui et sur sa famille). C’est à la mort de mon grand-père il y a cinquante-quatre ans que je suis devenu le 49e imam, c’est-à-dire le chef spirituel, des musulmans chiites imamis ismaïlis.
Les principes éthiques de l’islam jettent un pont entre les royaumes de la foi et du monde d’ici-bas, que nous désignons par les mots Dîn et Dunyâ. C’est la raison pour laquelle mes responsabilités institutionnelles dans le domaine de l’interprétation de la foi s’accompagnent d’un engagement fort sur les questions liées à la qualité de vie des membres de la communauté ismaïlie et de tous ceux avec qui elle partage son existence, que ce soit au niveau local, national ou international; et cela, sans distinction de sexe, d’origine ethnique ou de confession religieuse. Ce principe d’universalisme ressort nettement du Saint Coran, où il est dit: « Ô hommes, craignez votre Seigneur qui vous a créés d’un seul être… (et) c’est Lui qui réconcilia vos cœurs ; puis, par Son bien-fait, vous êtes devenus frères ».
Le réseau Aga Khan de Développement (AKDN, Aga Khan Development Network), précisément, regroupe plusieurs agences spécialisées, créées au fil du temps depuis 1957 et conçues pour répondre aux besoins d’un certain nombre de pays en développement d’Afrique et d’Asie.
Depuis 1957, plusieurs communautés ismaïlies ont vécu des changements politiques tout à fait majeurs dans de nombreux pays répartis de par le monde, du Pakistan au Bangladesh en passant par l’Ouganda, la Tanzanie, Zanzibar et le Kenya ; ou encore du Mozambique à la république démocratique du Congo, la Côte d’Ivoire, le Kirghizstan, le Tadjikistan, l’Afghanistan, l’Iran et d’autres.
Le défi pour l’AKDN a, dès lors, consisté à répondre aux besoins de développement non seulement de pays vivant en paix, mais aussi de nations nées de la guerre ou qui souffrent de conflits intérieurs. Certaines de ces populations ont connu la guerre froide, la décolonisation, des guerres d’indépendances, ainsi que des divisions raciales, religieuses et ethniques. L’éclatement de l’Union soviétique et la fin des régimes coloniaux britannique et français en Afrique et en Asie ont donné naissance à de nouveaux pays qui ont dû se confronter aux défis propres à toute construction nationale, en particulier l’intégration de groupes ethniques jusqu’alors unitaires mais divisés par des frontières politiques nouvellement créées. Plusieurs approches ont été tentées: systèmes politiques centralisés à parti unique ; économies nationalisées asphyxiant les sociétés civiles ; ou encore imposition d’une seule et unique langue nationale, que ce soit le swahili, l’ourdou, l’arabe ou d’autres. Ces premières entreprises ont, pour la plupart, échoué car elles perpétuaient la pauvreté et la division. Elles ont laissé la place à des systèmes politiques multipartites, à un nouvel espace propice à l’initiative individuelle et à des politiques linguistiques qui ont pris en compte le caractère inéluctable de l’anglais comme langue prédominante du savoir au niveau mondial.
Ces évolutions instables et multiformes dans une bonne partie de l’Afrique, de l’Asie et du Moyen-Orient, ont aussi porté atteinte à la valeur relative des devises nationales de ces pays, à tel point que certains États ont purement démonétisé leur monnaie, détruisant par là même toutes formes de patrimoines individuels et institutionnels. À cet égard, le rôle correcteur du Fonds monétaire international a été remarquable.
Pour les ismaïlis — mais ce fut également vrai pour beaucoup d’autres —, cette instabilité a notamment eu pour conséquence que la communauté s’est fixée dans un plus grand nombre de pays qu’autrefois, une part importante ayant migré vers des États du monde industrialisé, y compris l’Europe et l’Amérique du Nord. Certaines situations, comme l’ordre d’expulsion imposé par le régime d’Amin Dada en Ouganda à l’ensemble des Asiatiques au simple motif de leur origine, ont provoqué des mouvements d’émigration massifs, à la fois inattendus et injustifiés. Les effets de cette tragédie ne se sont pas limités à l’Ouganda, car elle a miné la confiance des communautés asiatiques sœurs dans toute l’Afrique de l’Est.
De ce passé complexe, le réseau Aga Khan de Développement a tiré plusieurs enseignements qui lui permettent non seulement de répondre aux conséquences des instabilités du passé, mais aussi aux fragilités de l’avenir.
La prévisibilité, condition du progrès
Premier enseignement majeur : la prévisibilité est non seulement une condition sine qua non du progrès, mais encore l’un des objectifs les plus difficiles à atteindre, compte tenu de l’impact des catastrophes naturelles et des situations provoquées par l’homme. Au regard de cette réalité, l’AKDN est constitué aujourd’hui de nombreuses entités, notamment Focus Assistance Humanitaire dont l’objet est de répondre aux catastrophes naturelles, et des nombreuses autres agences qui offrent des solutions aux questions du développement humain dans le domaine de la santé, de l’éducation, de l’accès au crédit, du développement rural et de l’amélioration de l’habitat.
La société civile, clé du développement
La deuxième conclusion est notre conviction que la société civile constitue le facteur central dans l’équation du développement. Puisque la notion de société civile est souvent assimilée à celle de groupes de défense ou de lobbying, je voudrais préciser ici que, pour moi, « société civile » désigne une sphère d’activité qui n’est ni gouvernementale ni commerciale et qui se compose d’institutions conçues pour promouvoir l’intérêt général en s’appuyant sur les forces du secteur privé. Parmi ces institutions figurent des entités telles que la Fondation Aga Khan (qui compte des représentations et des filiales dans 19 pays), des institutions spécialisées dans l’éducation, telles que l’Université Aga Khan, l’Université d’Asie centrale et les Académies Aga Khan, ainsi que des organismes dédiés à la santé, comme les Centres hospitalo-universitaires Aga Khan. Le concept de société civile englobe également les institutions scientifiques et de recherche, les associations professionnelles, commerciales, ethniques et artistiques (par exemple, le trust Aga Khan pour la culture), ainsi que des organismes dédiés à la communication, tels le Nation Media Group en Afrique de l’Est ou encore Roshan Telecommunications en Afghanistan. D’autres entités traitent des problématiques de l’environnement construit, notamment le Programme d’amélioration du bâtiment et de la construction (BACIP, Building and Construction Improvement Programme) et le Programme d’amélioration des services d’eau et d’assainissement (WASIP, Water and Sanitation Improvement Programme).
Qu’il s’agisse de l’Asie ou de l’Afrique, des pays du Printemps arabe, ou encore de pays en situation post-conflictuelle comme l’Afghanistan, c’est la société civile qui est généralement la mieux placée pour garantir les progrès en matière de développement.
Les organisations de la société civile constituent, en effet, un rempart contre les faiblesses potentielles de gouvernements en place peu performants ou de gouvernements venus récemment aux responsabilités. Elles pallient les défaillances des pouvoirs publics en prenant en charge des tâches additionnelles, contribuant ainsi à rendre durables les améliorations de la qualité de vie.
L’investissement dans les organisations de la société civile mérite que soit bien mieux pris en compte son caractère prioritaire et que beaucoup plus d’attention, de ressources et de soutien lui soient consacrés, comparé à ce qui a été fait jusqu’à présent, alors même que la construction des institutions d’Etat se poursuit parallèlement. Ces organisations sont, en effet, bien placées pour s’assurer que les progrès soient à la fois sur la place publique et transparents et qu’à titre normatif une bonne gouvernance soit observée. Cela en fait ainsi l’un des meilleurs outils pour hâter un développement socio-économique visible.
Pour une meilleure gouvernance
Troisième élément que l’AKDN met en exergue et considère comme central : la gouvernance des institutions sociales et économiques, notamment la société civile, doit reposer sur les concepts de transparence, de méritocratie et de compétence.
Cette approche fonde la manière dont le réseau s’implique dans le domaine de l’éducation, qu’il s’agisse des programmes destinés à la petite enfance, des institutions d’enseignement secondaire et supérieur, ou des études postuniversitaires. L’Université Aga Khan et l’Université d’Asie centrale (qui travaille à l’implantation de campus dans les régions montagneuses inhospitalières de trois anciennes républiques soviétiques), de même que le réseau en expansion des Académies Aga Khan, mettent cette approche en pratique. Je voudrais redire que ces initiatives sont le reflet de traditions multiséculaires dans la vie musulmane et, spécifiquement, dans l’histoire de la communauté ismaïlie, qui remontent à la fondation par mes propres ancêtres, il y a un millénaire, de l’Université al-Azhar, l’une des plus anciennes universités du Caire.
Tout en encourageant l’arrivée de ressources humaines nouvelles, nous cherchons par ailleurs à décourager les pratiques qui font obstacle ou qui perturbent les processus méritocratiques. La corruption dans les secteurs de la santé, de l’éducation, de l’aménagement du territoire, de l’application des lois et des services financiers entraînent, en effet, des dommages qui perturbent l’efficacité de la société civile. Génération après génération, d’honorables familles se trouvent affectées alors que, par leur dur labeur, elles cherchent à s’extraire d’une pauvreté qui a l’apparence de l’irréversibilité.
Les chemins de la démocratie
La quatrième conclusion que l’ADKN peut tirer concerne le besoin urgent de nouvelles formes de gouvernement démocratique dans le monde en développement.
Mon espoir est que les pays du Printemps arabe, et beaucoup d’autres, deviendront au fil du temps pleinement démocratiques ; mais la transition prendra nécessairement du temps. Si certaines de ces mutations postrévolutionnaires devaient échouer, certains commentateurs diront que l’islam est antithétique de la démocratie. Cela est faux. La consultation publique sur la nature de la gouvernance et le principe selon lequel on doit rendre compte ont constitué, depuis la révélation de la foi, des préceptes fondamentaux de la notion d’État. Aujourd’hui, la question est de savoir si ces sociétés auront la capacité de concevoir et de soutenir dans la durée des institutions démocratiques fonctionnant bien (1).
Pratiquement aucun pays d’Asie, d’Afrique ou du Moyen-Orient n’est organisé politiquement sur la base d’un bipartisme fort, comme c’est le cas dans de nombreuses démocraties occidentales. La conséquence probable de ce phénomène est que, dans nombre de pays du monde en développement, si ce n’est la plupart, des gouvernements de coalition seront omniprésents dans les décennies à venir. Or, peu de ces pays ont une expérience solide en matière de gouvernance de coalition (ce qui est le cas d’ailleurs de certains des pays les plus puissants du monde industrialisé). Ce défi sera d’autant plus complexe à gérer dans les pays où des compromis fonctionnels doivent être trouvés entre forces laïques et théocratiques.
Un terrain commun pourrait être trouvé si l’ensemble des forces politiques en présence acceptaient l’ardente responsabilité de promouvoir une éthique cosmopolite. Il s’agirait d’une éthique pour tous, une éthique qui offrirait à ces populations des chances équitables et mesurables d’amélioration de leurs vies, évaluées en fonction de leur propre conception de la qualité de vie.
Il est clair que des populations différentes auront des visions différentes de ce qu’est une qualité de vie désirable selon qu’on considère, par exemple, des environnements urbains ou ruraux. Cela étant, un engagement en faveur d’un système éthique universel, favorisant et respectant la diversité, sera d’une importance capitale. L’AKDN a cherché à se structurer au travers de son réseau d’agences spécialisées afin d’optimiser sa contribution à la société civile. Ces agences sont à même de définir diverses matrices d’intervention, qui peuvent être adaptées à la plupart des situations.
Réduire la pauvreté
La cinquième de nos conclusions concerne l’aspect multidimensionnel de l’action en faveur de la réduction de la pauvreté. Laissée à elle-même, la pauvreté laisse le champ libre à la poursuite d’intérêts particuliers sous des formes agressives. Même si l’aide humanitaire est indispensable, il reste qu’elle doit être conçue comme partie intégrante d’une stratégie à long terme visant à aider la communauté bénéficiaire à développer ses propres ressources. L’expérience nous a montré que toute action tendant à la réduction de la pauvreté doit commencer par une analyse approfondie de ses causes. Nous avons également appris que les micro-solutions s’avèrent souvent fragiles et éphémères ; de fait, les solutions doivent atteindre une dimension critique pour devenir pérennes. Partout où cela est possible, ces solutions doivent être menées de façon simultanée plutôt que séquentielle. C’est la raison pour laquelle une grande partie du travail de l’AKDN repose sur le concept de MIAD, ou Développement de secteurs par entrées multiples (Multi-Input Area Development).
Les initiatives de développement ne peuvent, en effet, être envisagées exclusivement d’un point de vue économique, mais doivent englober, dans le cadre d’un programme intégré, des variables telles que l’enseignement et le développement des compétences, la santé et les services publics, la préservation de l’héritage culturel, la construction d’infrastructures, l’aménagement et la réhabilitation des zones urbaines, la gestion de l’eau et de l’énergie, la défense de l’environnement, et même l’élaboration de règles générales et législatives.
Dans le cadre de ce concept du MIAD, l’amélioration des infrastructures constitue un élément fondamental. L’AKDN est naturellement actif dans ce secteur et finance souvent des projets tels que la production d’électricité, l’approvisionnement en eau, le transport, le tourisme, ou encore l’agroalimentaire. À nos côtés, des institutions françaises ont participé activement à plusieurs projets : la centrale thermique d’Azito en Côte d’Ivoire ; la société agroalimentaire kenyane Frigoken ; ainsi que les Hôtels Serena qui sont désormais présents dans les capitales de huit pays d’Afrique et d’Asie et qui, en collaboration avec le Trust Aga Khan pour la culture, ont construit plusieurs petits hôtels au sein de forts et de palais historiques sur la Route de la Soie. Nous avons, en outre, travaillé en étroite collaboration avec les institutions françaises sur des projets concernant les services de santé, notamment l’Institut médical français pour l’enfant à Kaboul, ainsi que notre nouveau Centre de cardiologie et de cancérologie récemment ouvert au sein de l’hôpital universitaire Aga Khan de Nairobi.
Lorsqu’une politique de développement s’appuie sur l’approche multidimensionnelle du MIAD, il est clair que l’un de ses éléments constitutifs clé est la création d’un environnement propice à l’initiative privée : la stabilité politique, la sûreté et la sécurité, les droits des citoyens, un droit du travail protecteur, ainsi qu’un cadre juridique, fiscal et administratif fluide, efficace, impartial et effectivement présent. Cet environnement propice peut être renforcé par l’apport d’une panoplie de partenariats public-privé.
L’AKDN œuvre dans ce sens de plusieurs manières, notamment via le Fonds Aga Khan pour le développement économique (AKFED, Aga Khan Fund for Economic Development) et l’Agence Aga Khan pour la microfinance (AKAM, Aga Khan Agency for Microfinance). Le Fonds AKFED ne distribue pas de dividendes et réinvestit l’ensemble de ses excédents dans la poursuite du développement. AKAM est une fondation à but non lucratif. Si, bien souvent, ces agences et leurs projets peuvent être perçus comme associés à des prises de risque élevées, il faut aussi retenir qu’elles permettent de donner du travail en abondance, qu’elles sont réactives aux marchés et imaginatives, et que leur impact est multiforme. Ces deux agences reconnaissent que la notion de risque doit se mesurer à l’aune des retours attendus.
Un environnement propice doit notamment se définir comme permettant aux organisations en charge du développement, telles que l’ensemble du réseau Aga Khan de Développement, de travailler efficacement. À cet effet, l’AKDN a passé des accords et/ou des protocoles (qui comportent souvent un volet de privilèges diplomatiques) avec les organisations ou pays suivants : Afghanistan, Allemagne, Bangladesh, Côte d’Ivoire, Canada, Commission européenne, France, Inde, Kazakhstan, Kenya, Kirghizstan, Mali, Mozambique, Norvège, Ouganda, Pakistan, Portugal, Royaume-Uni, Russie, Syrie, Tadjikistan, Tanzanie et Nations unies. Par ailleurs, chacune de ses agences travaille en étroite collaboration avec les autorités locales et régionales et les gouvernements nationaux, et apportent une contribution significative, par le versement d’impôts et autres taxes, aux recettes gouvernementales.
Le développement culturel
Une sixième conclusion, qui mérite une mention particulière, est l’importance donnée par l’AKDN au développement culturel en tant que facteur de développement urbain et rural, de réduction de la pauvreté ainsi que de renforcement et d’enrichissement du sentiment d’identité locale et nationale.
Il est frappant de constater à cet égard que près d’un tiers des sites reconnus internationalement comme éléments du Patrimoine mondial sont situés dans le monde musulman mais que, comme c’est aussi le cas de la plupart des sites de cette catégorie dans le monde développé, les populations alentour sont parmi les plus pauvres. Les approches traditionnelles de revitalisation culturelle ne prennent pas en compte le potentiel de ces sites. Elles se limitent souvent à l’ouverture de musées, qui deviennent parfois des fardeaux improductifs. Dès lors, le principal objectif de notre travail est d’utiliser des opportunités culturelles comme point d’appui pour la réduction de la pauvreté. Nous agissons en ce sens par la conjugaison d’une masse critique de programmes : création de parcs et de jardins, conservation du patrimoine culturel, amélioration des systèmes d’eau et d’assainissement, micro-financements, amélioration des sites et des infrastructures, initiatives en matière d’éducation et de santé. L’approche MIAD semble, là encore, être la plus efficace.
Nous avons constaté que les populations locales pouvaient profiter de ces efforts à plusieurs niveaux. Elles peuvent participer aux tâches exigeantes de la restauration historique, apporter leurs idées quant à des usages productifs de bâtiments historiques et prendre en charge la responsabilité de l’entretien des sites culturels ainsi que la gestion de l’accueil d’un flux notablement accru de visiteurs. Dans ce processus, ces populations deviennent les conservateurs d’un patrimoine culturel digne de leur fierté.
Les efforts de l’AKDN dans ce domaine se sont traduits par de multiples projets, tels la création au cœur de l’un des quartiers les plus déshérités du Caire du beau parc historique d’al-Azhar, qui reçoit plus de deux millions de visiteurs par an ; ou encore la restauration de la tombe de l’empereur moghol Bâbur à Kaboul, connue sous le nom de Bagh-e-Babur, qui accueille plus de 500 000 visiteurs chaque année. Nous avons également participé à une série de projets de préservation du patrimoine culturel le long de la partie asiatique de la Route de la Soie.
Favoriser la coopération régionale
En guise de septième conclusion, j’aimerais mentionner brièvement un élément souvent négligé dans l’équation du développement. Il s’agit de l’émergence de nouvelles entités politiques qui sont le résultat de rapprochements de pays voisins sur la base d’une coopération régionale. Le potentiel de telles activités transfrontalières est crucial en de nombreux endroits. C’est ainsi qu’en Asie centrale nous avons œuvré sur la base de la démographie de la région et de la culture commune qui s’est forgée au fil d’une longue période, en écho à l’antique histoire de la Route de la Soie. Ainsi, la centrale hydroélectrique de Khorog, dans l’est du Tadjikistan, fournit aujourd’hui de l’énergie au nord-est de l’Afghanistan par-delà la rivière Piandj.
De nombreux besoins de la société civile ont une origine clairement locale, d’où la création de l’Université d’Asie centrale, en partenariat avec les gouvernements du Kazakhstan, du Tadjikistan et du Kirghizstan, afin de proposer un enseignement spécialisé dans les études de haute montagne, au niveau régional.
De la difficulté de vivre ensemble
Enfin, au cours des cinquante dernières années, l’expérience a montré que, dans la quasi-totalité des pays où l’AKDN est présent, que ce soit en temps de paix ou de crise, l’un des constats sociétaux récurrents est celui de la difficulté pour des populations de cultures différentes à vivre ensemble. Bien entendu, les individus et les familles s’identifient étroitement aux codes sociaux dont ils ont hérité à la naissance, mais, invariablement, ils vivent dans des situations qui ne sont pas monolithiques ; ils doivent donc se former à accepter, comprendre et apprécier la valeur du pluralisme de leurs sociétés, plutôt que de considérer la diversité comme un poids, une menace, ou une source d’abus à leur détriment. L’AKDN considère cette caractéristique de la vie humaine, qui existe depuis tant de décennies et dans tant de pays, comme un problème sociétal majeur, qui devra être pris à bras le corps et résolu si l’on veut que les populations des pays industrialisés et en développement vivent ensemble en paix.
La tolérance, l’ouverture et la compréhension à l’égard de la culture, des valeurs et des croyances des autres peuples, sont aujourd’hui essentielles à la survie d’un monde interdépendant. Le pluralisme n’est plus simplement un atout ou une condition du développement ; il est essentiel au fonctionnement de la société civile. En vérité, il est vital pour notre existence. La gravité que revêt cette question à nos yeux nous a conduits à créer, en partenariat avec le gouvernement canadien, le Centre mondial du pluralisme, dédié à la recherche sur le pluralisme et à sa mise en œuvre avec les meilleures chances de succès.
Basé au Canada — pays qui peut se vanter d’être l’une des sociétés les plus pluralistes du monde industrialisé — le Centre mondial du pluralisme est consacré à l’étude créatrice des facteurs qui ont contribué à l’essor d’un pluralisme vigoureux tout au long de l’histoire de l’humanité et dans de nombreuses régions du globe. Cette perspective prend en compte le vieil héritage islamique de conciliation, de médiation et de tolérance — ces valeurs qui, au cours des siècles, ont engendré des sociétés pluralistes prospères et progressistes dans une partie importante du monde musulman.
L’ensemble des institutions qui constituent le Réseau Aga Khan de Développement est l’un des plus grands, peut-être le plus grand, groupement d’agences de développement privé aujourd’hui en activité. Le réseau est un modèle en soi. Nous travaillons avec des institutions financières internationales, des agences de développement gouvernementales, le secteur privé (local et international) et des groupes à but lucratif, à but non lucratif ou encore appartenant à la société privée. Nos efforts sont unis par un thème central : améliorer la qualité de vie des populations, pour l’essentiel les pauvres et les faibles, que nous servons.
(1) Son Altesse l’Aga Khan a également abordé le sujet de la démocratie dans un récent discours prononcé lors la cérémonie de remise de son doctorat honoris causa à l’Université d’Ottawa.