Ouganda · 2 juin 2023 · 6 min
« Pour garantir un avenir meilleur à la prochaine génération, il est impératif de placer les éducateurs du monde - et les idées formidables qu’ils font sortir de leurs salles de classe diversifiées - au cœur de nos efforts de réforme de l’éducation à l’échelle mondiale et locale », expliquent Nafisa Shekhova et le Dr Andrew Cunningham, codirecteurs monde à l’éducation pour la Fondation Aga Khan (AKF).
Dans cet entretien, ils évoquent les stratégies clés que l’AKF et ses partenaires mettent en œuvre pour soutenir le leadership, l’innovation et la faculté d’action des enseignants dans certains des environnements d’apprentissage les plus difficiles et abordent la manière dont nous, en tant que communauté éducative internationale, pouvons accentuer nos efforts pour résoudre la crise mondiale de l’éducation en travaillant plus étroitement avec les éducateurs du monde entier.
Le Secrétaire général des Nations Unies a organisé le Sommet sur la transformation de l’éducation (STE) lors de l’Assemblée générale des Nations Unies de l’année dernière dans l’optique d’apporter des réponses à la crise mondiale de l’éducation. Il s’agissait d’une occasion unique de placer l’éducation en première place de l’agenda politique mondial et de susciter une prise d’action, un renforcement des ambitions, un élan de solidarité et une recherche de solutions pour remédier aux pertes d’apprentissage survenues dans le sillage de la pandémie de COVID-19 et ouvrir la voie à la transformation de l’éducation dans un monde qui évolue toujours plus rapidement. Quel est votre avis concernant ce sommet ?
Dr Andrew Cunningham (AC) : C’était un moment historique pour la communauté éducative mondiale. Tous les membres des Nations Unies nous ont donné la permission politique de « sortir des sentiers battus » pour trouver la meilleure façon de stimuler l’innovation dans et au travers de l’éducation, en particulier pour les apprenants les plus marginalisés. Nous avons donc été ravis de voir Schools2030, notre programme phare dans le secteur de l’éducation, être sélectionné par les Nations Unies comme solution reconnue à l’échelle internationale lors du STE pour faire progresser le leadership, l’innovation et la faculté d’action des enseignants.
Comme nous le savons, la plupart des éducateurs du monde sont exclus des efforts de réforme de l’éducation. Il en a été autrement lors de la session Schools2030 au STE, à l’occasion de laquelle un ministre de l’Éducation et un enseignant du même pays ont, aux côtés d’autres partenaires de Schools2030, partagé la même scène et exposé des stratégies clés sur la meilleure façon de faire progresser les résultats d’apprentissage globaux des enfants par le biais d’innovations ascendantes plutôt que descendantes menées par les enseignants. Nous devons réussir à créer davantage de moments comme celui-ci.
Pourquoi avez-vous la conviction que les enseignants doivent être placés au cœur de la réforme de l’éducation ?
Nafisa Shekhova (NS) : De nombreux systèmes éducatifs, que ce soit au niveau local, national ou mondial, négligent souvent le rôle potentiel d’innovateurs ou de leaders que les enseignants peuvent endosser, ce qui est une grave erreur. Bien qu’il puisse être utile de leur fournir des plans de cours et des outils d’évaluation, imposer des normes trop rigides sur les programmes d’études peut limiter leur autonomie. Il est essentiel que nous mettions l’accent sur la flexibilité et l’espace dont ils ont besoin et qu’ils méritent et que nous leur permettions d’expérimenter, de mettre en œuvre et de donner leur avis sur l’efficacité de ces ressources. Malheureusement, les enseignants sont souvent tenus d’utiliser ces ressources sans avoir leur mot à dire sur ce qui fonctionne, ce qui ne fonctionne pas et pourquoi. L’absence d’un mécanisme de retour d’information fait que nous ne pouvons pas entendre les voix exprimées à l’échelle locale et communautaire, qui sont pourtant vitales pour la réussite d’une réforme de l’éducation. En intégrant ces perspectives et un système de retour d’information, nous pouvons parvenir à faire en sorte que les programmes de réforme atteignent les résultats visés.
AC : Après tout, nos enfants passent la majeure partie de leur journée avec leurs enseignants. Il s’agit d’un aspect extrêmement important dans ce que nous, en tant que société, considérons comme notre investissement collectif pour l’avenir. Les éducateurs sont non seulement responsables de leur propre développement, mais ils jouent également un rôle essentiel dans la vie des apprenants, car ils les aident à développer leur créativité, leur empathie, leur respect de la diversité et des compétences sociales cruciales. Dans un monde qui semble chaque jour de plus en plus marqué par la division et l’incertitude, les enseignants font partie de ces personnes qui préparent sans relâche les membres de la prochaine génération à apprécier les différences, à devenir des citoyens engagés et à « apprendre comment apprendre », non seulement aujourd’hui, mais tout au long de leur vie.
Les personnes les plus proches de l’action étant exclues des échanges, il n’est pas surprenant que le chemin de la réforme de l’éducation actuelle soit pavé d’embûches. Pour donner lieu à une réforme plus efficace, les décideurs politiques et les acteurs du secteur de l’éducation doivent entamer un dialogue plus profond et plus fréquent avec les enseignants, mais également les laisser mener ce dialogue. Tout processus de réforme devrait donner la priorité à cette collaboration, car l’idée n’est ici pas seulement d’inviter les enseignants à des réunions organisées de manière sporadique, mais plutôt de les considérer comme les copilotes d’un processus de transformation vers des systèmes éducatifs plus inclusifs pour tous.
Si nous ne parvenons pas à soutenir le leadership, l’innovation et la faculté d’action des enseignants, la tendance à la baisse dans le secteur de l’éducation se poursuivra inexorablement, et il deviendra de plus en plus difficile d’attirer et de préparer la prochaine génération d’éducateurs pour les enfants de nos enfants. Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour collaborer plus étroitement avec les éducateurs afin de repenser ce qui est possible pour les générations futures.
Comment l’AKF et ses partenaires s’efforcent-ils de valoriser le rôle des enseignants ?
NS : L’AKF donne la priorité au développement et à la faculté d’action des enseignants dans le cadre de son programme d’amélioration de l’éducation. Comme mentionné précédemment, notre initiative Schools2030 en est un exemple.
Schools2030 est un programme participatif d’amélioration de l’apprentissage sur 10 ans. Nous travaillons auprès de 1 000 écoles publiques et centres d’apprentissage communautaires dans 10 pays.
Dans le contexte du programme, les enseignants sont considérés comme des fers de lance, des innovateurs et des agents actifs de l’éducation, et nous nous efforçons de développer ces aspects. Nous avons développé plusieurs outils, ressources et modules de formation en libre accès avec et pour les enseignants qui peuvent aider ces derniers à évaluer, innover et mettre en lumière des innovations éducatives directement au niveau de leurs salles de classe afin d’améliorer l’apprentissage des élèves. Le programme Schools2030 a été pensé comme une approche expérimentale qui se base sur la philosophie selon laquelle les meilleures idées viennent des salles de classe et des enseignants.
Enfin, que cherche à atteindre l’AKF en plaçant les enseignants au cœur du processus de transformation de l’éducation ?
NS : Trois années seulement se sont écoulées depuis que les écoles du monde entier ont été contraintes de fermer leurs portes lors de la pandémie de COVID-19. Les pertes d’apprentissage et la disparition des interactions sociales ont profondément affecté la prochaine génération de dirigeants, et les enseignants le comprennent mieux que quiconque. En plaçant ces derniers au centre des discussions sur la réforme, nous pensons pouvoir atténuer de manière efficace les effets des futures pandémies et perturbations majeures sur l’éducation et l’apprentissage.
En outre, dans un monde de plus en plus marqué par la polarisation et l’incertitude, nous pensons qu’en soutenant les enseignants, nous pouvons construire un avenir plus pluraliste et durable et faire en sorte que nos enfants se trouvent dans une situation meilleure que celle dans laquelle nous sommes aujourd’hui.
AC : C’est pourquoi nous sommes ravis de coorganiser le deuxième Forum annuel mondial Schools2030 à Porto, au Portugal, qui verra se réunir 250 délégués de 30 pays pour discuter des moyens novateurs de soutenir les éducateurs en vue de favoriser des écoles plus inclusives, des systèmes éducatifs équitables et des sociétés d’apprentissage pluralistes d’ici 2030. Au cours de chaque journée, les éducateurs participants présenteront des innovations pédagogiques visant à renforcer les résultats d’apprentissage globaux des apprenants âgés de 5, 10 et 15 ans, tout en prenant part à un dialogue constructif avec des chercheurs, des politiques et des acteurs de la finance et du secteur de l’éducation de premier plan du monde entier.
Nous vous invitons à participer à la conversation et à développer vos connaissances de ce mouvement grandissant en assistant à la retransmission en direct des événements qui auront lieu du 5 au 7 juin 2023. Comme l’a déclaré la Dre Bronwen Magrath, responsable mondiale du programme Schools2030, lors d’un récent entretien : « Prises séparément, nos voix ne peuvent pas résoudre la crise de l’éducation, mais prises ensemble, elles nous rendent plus forts. » Nous espérons vous voir bientôt pour poursuivre cette importante conversation.