par Son Altesse l'Aga Khan, Paris, France · 15 juin 2007 · 14 min
Monsieur Richard Descoings, Directeur de Sciences Po,
Mesdames et Messieurs les membres de la direction, les enseignants et les étudiants du MPA,
Mesdames et Messieurs,
C’est un grand honneur pour moi d’être parmi vous aujourd’hui.
Cette journée mémorable pour vous qui recevez votre diplôme – comme pour vos proches – constitue également un événement pour Sciences Po, puisque vous représentez la toute première promotion du nouveau Master of Public Affairs.
Les valeurs mises à l’honneur aujourd’hui remontent aux origines mêmes de Sciences Po, il y a 135 ans, et vous avez de nombreux prédécesseurs. Cette institution a, en effet, toujours su rester fidèle au passé tout en embrassant l’avenir. Le Master of Public Affairs – notamment par la place qu’y occupe le partenariat international – est l’exemple même d’une formation novatrice au service d’idéaux pérennes.
Parmi ces idéaux, il en est un qui consiste à former les futurs dirigeants en se fondant non pas sur des critères de classe ou de richesse, mais sur le mérite intellectuel.
Les fondateurs de Sciences Po ont compris qu’à l’aristocratie de classe devait succéder une aristocratie de talent – en d’autres termes une méritocratie. Or, pour établir une méritocratie dans les affaires publiques, il faut d’abord un projet éducatif fondé sur la méritocratie.
Dès sa création, Sciences Po a également privilégié le pluralisme – valeur qui permet de s’élever au-dessus des intérêts particuliers. On en trouve l’écho aujourd’hui dans ses engagements internationaux – dont ce nouveau Master of Public Affairs.
J’ai été impressionné par cette formation aux affaires publiques en apprenant qu’elle était conduite en partenariat avec la Columbia University à New York et la London School of Economics. Et je redouble d’enthousiasme en constatant la diversité d’origines de cette première promotion. J’aurais aimé pouvoir m’entretenir avec chacun d’entre vous.
Comme je l’ai rappelé, l’an dernier à cette époque, lors du discours que j’ai prononcé à la School of International and Public Affairs de Columbia University, on dit parfois qu’un bon orateur est quelqu’un qui sait parler dans le sommeil de son auditoire.
J’ose espérer que ce ne sera pas le cas aujourd’hui.
En effet, je me suis dit qu’il serait peut-être utile de répondre ici à une question que nombre d’entre vous se posent peut-être : qui est l’Aga Khan ? et pourquoi est-il ici aujourd’hui ?
Pour commencer, je répondrai que je suis né dans une famille musulmane, issue du prophète Muhammad (que la paix soit sur lui et les siens). Il y a cinquante ans exactement, je suis devenu le 49e imam des musulmans chiites imamites ismailis.
L’éthique de l’Islam établit un lien entre, d’une part, la vie spirituelle et, d’autre part, la vie matérielle – Din et Dunya. Aussi mes responsabilités de chef spirituel et d’interprète de la foi vont-elles de pair avec un profond engagement dans l’action en faveur de l’amélioration des conditions et de la qualité de vie. Et cette action ne se limite pas à la communauté ismailie, elle concerne tous ceux qui partagent leur vie – à l’échelle locale, nationale et internationale.
L’une des questions qui me préoccupe le plus depuis plusieurs années est celle de l’éducation.
Mes ancêtres, il y a mille ans et même encore au siècle dernier, ont fondé quelques unes des grandes universités du monde musulman. J’ai continué cette tradition avec la mise en place des Académies Aga Khan ainsi que la création de l’Université Aga Khan et de l’Université d’Asie centrale.
Dans ces conditions, vous comprendrez pourquoi le succès de ce nouveau Master m’intéresse au plus haut point.
On parle souvent aujourd’hui de « conflit de civilisation » entre l’Islam et l’Occident. Je suis en profond désaccord sur l’existence d’un tel conflit. Je pense plutôt que nous nous trouvons devant un conflit d’ignorance. Et ce qui sert à combattre l’ignorance, c’est l’éducation.
Je dois préciser que personnellement j’ai été élevé à la fois dans la tradition musulmane et dans la tradition occidentale. J’ai fait mes études secondaires et universitaires en Europe et aux États-Unis. Mais depuis cinquante ans, le monde en développement influe profondément sur ma vision du monde.
Les ismailis sont installés actuellement – de façon minoritaire – dans plus de 25 pays, dont la plupart sont en voie de développement. Depuis cinquante ans, le monde en développement est pour moi une préoccupation quasi constante. Au cours de ces cinq décennies, le Réseau Aga Khan de développement (Aga Khan Development Network) a coordonné la mise en place, avec la participation active des populations concernées, de tout un éventail de programmes concernent tant la santé, l’éducation et la culture que l’infrastructure économique, le développement social, l’environnement, l’art et les médias.
Au cours du demi-siècle écoulé, la planète a évolué à un rythme stupéfiant. Et ce rythme ne fait que s’accélérer. Ainsi, je suis frappé de voir que la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne ont changé de dirigeants en l’espace de quelques mois seulement – de même les États-Unis connaîtront bientôt des changements similaires.
L’accélération de l’histoire est telle que les développements qui, de mon vivant, ont mis cinquante ans pour se mettre en place, se feront en quinze, voire cinq ans, pour votre génération. C’est pourquoi je suis convaincu que ce que vous aurez acquis de plus important dans le cadre de ce Master of Public Affairs, ce n’est pas un ensemble de connaissances précises mais plutôt la capacité de continuer à apprendre.
On ne peut rien faire pour ralentir les évolutions, mais on peut espérer contribuer à les orienter.
Il y a trois grandes questions dont j’aimerais souligner tout particulièrement l’importance aujourd’hui. D’abord l’avenir de la démocratie, surtout dans le monde en développement ; ensuite, le rôle clé de la société civile dans ce développement ; et enfin la crise des relations entre l’Occident et l’Islam. Ces questions affecteront le monde dans lequel nous vivons au cours des décennies à venir.
L’histoire de la démocratie, surtout dans les pays d’Asie et d’Afrique que je connais bien, est une longue succession de faux départs. Aujourd’hui, tout observateur attentif est bien obligé de conclure que l’efficacité de la démocratie en tant que système de gouvernement ne bénéficie plus de la confiance du public dans ces régions du monde.
Dans nombre de ces pays, les gouvernements, les constitutions, les Parlements et les partis politiques ne sont guère qu’un ensemble dysfonctionnel de vagues mécanismes démocratiques. Des élections y sont tenues, des constitutions sont entérinées, et des observateurs internationaux publient leurs rapports, mais respecter ces formes de gouvernement et gouverner de manière effective sont deux choses différentes.
Une étude récente du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) portant sur 18 pays d’Amérique du Sud confirme que la majorité des gens s’intéressent moins à leur système de gouvernement qu’à leurs conditions de vie. Autrement dit, la plupart d’entre eux préfèreraient un dictateur paternaliste, pourvu qu’il améliore la qualité de la vie, à des dirigeants démocrates, moins efficaces, mais élus en bonne et due forme.
Il ne s’agit pas, me semble-t-il, de savoir si la démocratie est une bonne chose dans l’abstrait, mais plutôt de s’interroger sur la manière dont on peut aider la démocratie à mieux fonctionner en pratique. Comprenons-nous vraiment la nature des difficultés ? Et les causes ? Savons-nous comment y remédier ? Et qui doit le faire ?
Ce sont là d’énormes problèmes, dont je ne prétends pas connaître la solution. Mais je suis convaincu qu’ils méritent une réflexion bien plus poussée de la part de l’intelligentsia de notre monde, vous compris.
Tandis que la réflexion se poursuit, certains signes encourageants apparaissent. En général, les pays en développement qui réussissent le mieux sont ceux qui jouent un rôle actif dans la société des connaissances à l’échelle mondiale, qui ont accepté et défendu le pluralisme, et qui ont créé un environnement favorable à l’esprit d’entreprise, plutôt que de se lancer dans des politiques qui étouffent l’homme et découragent l’effort.
Dans trop de pays, les pratiques démocratiques restent profondément imparfaites. Cela tient tout simplement à une méconnaissance des différentes formes de démocratie. J’attribue cela en partie à une éducation insuffisante en matière de gouvernement comparé. Faire approuver une nouvelle constitution par référendum n’assure pas une compréhension de ses articles et encore moins un soutien populaire.
Ajoutons à cela que les affaires publiques – y compris la création et le financement des partis politiques – sont souvent conduites de manière anarchique et laissent la porte ouverte à la manipulation et à la fraude. Les politiques gouvernementales ne font pas, non plus, l’objet d’une véritable évaluation – soit interne soit par les médias.
Enfin, le concept même de démocratie doit être adapté aux différents contextes nationaux et culturels. Pour être effective, la démocratie ne doit pas être imposée par le haut ou de l’extérieur. Et si l’on veut que la démocratie soit défendue et développée, il faut qu’elle soit intimement ressentie, au quotidien, comme une valeur positive par l’ensemble des habitants d’un pays, y compris la population rurale majoritaire.
Dans ces conditions, il serait sage, de mon point de vue, de se préparer à une période de mise à l’épreuve de la démocratie. Il faut s’attendre à un mélange de réussites, d’échecs et de déceptions, et à voir une grande diversité de régimes se maintenir : monarchie absolue, monarchie constitutionnelle, Parlement à une ou deux chambres, système présidentiel ou autre, dont maintes formes de fédéralisme. Les alliances régionales auront, par ailleurs, un rôle toujours plus important à jouer.
Cela signifie-t-il que certaines régions du monde en développement continueront à vivre dans l’instabilité ? C’est possible.
Mais je n’en continue pas moins de croire que si l’on pose les bonnes questions concernant la démocratie, on découvrira davantage de bonnes réponses.
À cet égard, le fait que l’histoire s’accélère est à la fois un défi et un atout. Je me souviens qu’il y a 50 ans, les gens qualifiaient négligemment les économies en développement – y compris l’Inde et la Chine – de « cas désespérés ».
Or l’histoire montre que les pays soi-disant arriérés peuvent fort bien avancer si on leur en donne le temps. Il n’est pas irréaliste de se préparer à un avenir meilleur.
Ce qui m’amène à mon second point. Si je suis plus optimiste que bien d’autres quant à l’avenir du monde en développement, c’est que je suis intimement persuadé de l’importance du rôle à venir de tout un ensemble d’institutions nouvelles. Je crois avec un enthousiasme tout particulier au potentiel de ce que j’appelle la « société civile ».
Par « société civile », j’entends un ensemble d’organisations, ni gouvernementales ni commerciales, nées de l’initiative privée mais destinées à améliorer le sort de tous. Ces institutions interviennent dans différents domaines – éducation, santé, science, recherche – et œuvrent de concert avec les associations professionnelles ou commerciales, les syndicats et les organismes culturels ainsi que d’autres organisations axées sur la religion, la communication et l’environnement. Nombre de ces institutions se consacrent à la lutte contre la pauvreté et les inégalités sociales.
Trop souvent, nous avons pensé que les organisations bénévoles n’ont pas l’envergure nécessaire pour servir les grandes causes publiques. Pour certains, les notions d’organisation privée et d’objectifs publics sont antinomiques.
Mais ce scepticisme évolue. La puissance de la société civile est de plus en plus visible – comme en témoigne, entre autres, votre programme d’études à Sciences Po. Il y a de quoi s’en réjouir – la société civile devrait jouer un rôle prépondérant dans la nouvelle donne et œuvrer au progrès social en partenariat plutôt qu’en concurrence avec les gouvernements. Il en est de même pour les entreprises du secteur privé et les partenariats public-privé.
Les institutions civiles et privées sont, plus que quiconque, en mesure de promouvoir le progrès social – même lorsque les gouvernements vacillent. Du fait qu’elles s’intègrent dans le tissu même de la vie quotidienne des habitants, elles sont capables de prévoir les nouvelles tendances avec une remarquable subtilité.
Le développement de la société civile peut contribuer à relever le défi de la diversité culturelle en donnant à des communautés différentes les moyens effectifs d’exprimer et de préserver leur identité.
Les institutions privées aussi sont particulièrement aptes à servir de laboratoires. Leur pluralité même leur permet de tenter différentes approches, parfois avec succès, parfois non, mais jamais sans tirer leçon de l’expérience. Et comme elles ne s’inscrivent pas dans le court terme et n’ont pas à tenir compte des idées reçues et des modes, elles ne craignent pas la controverse et sont libres de leur créativité.
J’en viens maintenant à mon dernier point : la crise des relations entre l’Occident et le monde islamique. Autant que je me souvienne, ces relations n’ont jamais été aussi tendues ni eu des conséquences d’une telle ampleur entre générations et à travers le monde.
Je suis profondément convaincu que cette crise a des racines infiniment plus politiques que théologiques. Et pour faire face efficacement à la crise, il convient, je crois, de porter avant tout un regard politique sur ces questions complexes, plutôt que de se laisser obnubiler par leur aspect religieux.
Lorsqu’on remonte aux origines des affrontements actuels, on s’aperçoit qu’elles sont toujours politiques – et fréquemment explosives. La situation actuelle au Moyen-Orient est née à la fin de la Première Guerre mondiale, de la recherche d’une patrie pour les peuples juifs. Le conflit au Cachemire est la conséquence du processus de décolonisation au moment où la Grande-Bretagne s’est retirée de l’Inde alors unifiée. Plus récemment, l’invasion par les Russes de l’Afghanistan et celle de l’Irak par les Britanniques et les Américains ont contribué encore davantage à la déstabilisation de la région.
Cependant, les différends qui opposent les trois religions abrahamiques ne sont pas responsables de ces affrontements. Nombre de situations ont pris l’allure de conflits religieux, certes ; mais c’est là une des conséquences, bien plus que la cause, de ces tragédies.
Les désaccords politiques ont, bien sûr, parfois intensifié les pressions théologiques, qui n’ont pourtant pas toujours été aussi antagonistes, surtout dans le monde musulman. Les tensions au sein de l’Islam s’en sont trouvées accentuées, exacerbées et plus difficiles à régler. Certains clivages, comme celui qui oppose les musulmans arabes et les musulmans non arabes, ou encore entre les différentes interprétations de l’Islam, ont des racines historiques vieilles de plusieurs siècles ; ce sont les développements politiques qui ont ravivé et enflammé les tensions. D’autres clivages, entre les États laïcs et les théocraties du monde musulman par exemple, ou encore entre les plus riches et les plus pauvres, sont essentiellement le produit de l’ère moderne – ne serait-ce que par leur envergure.
Trois remarques s’imposent ici. D’abord, le monde musulman n’est pas un et indivisible ; il est multiple, chaque situation spécifique exigeant une analyse spécifique. Ensuite, la foi musulmane est, dans la vaste majorité de ses interprétations, nullement en conflit avec les autres grandes traditions abrahamiques. Enfin, chaque situation de crise s’inscrit dans un contexte politique particulier.
Créer les conditions de la paix dans une situation d’une telle complexité exige beaucoup de tact, de patience, de compréhension et de connaissances. Malheureusement, aucune de ces qualités – je répète : aucune – n’est suffisamment présente chez les principaux acteurs actuels. Là où il faudrait du tact, on ne trouve que maladresse ; là où la patience est de mise, il n’y a qu’impatience ; et, en termes de compréhension et de connaissances, les déficiences sont énormes.
Trop souvent, on refuse de se confronter aux vérités désagréables. Impossible pourtant de régler ces conflits sans tenir compte des conditions sous-jacentes – et tout particulièrement du désespoir économique qui conduit à la radicalisation. Il a fallu attendre une cinquantaine d’années et la publication du rapport du comité Sachar pour qu’on admette les discriminations dont sont victimes les musulmans indiens. Mais les musulmans de Mindanao aux Philippines n'en subissent-ils pas de semblables ? Il est peut-être compréhensible que tout groupe religieux souffrant d’une marginalisation économique puisse se sentir victimisé. Mais nous devons avoir pour priorité non pas d’exacerber les différences religieuses mais de remédier à la souffrance humaine.
Permettez-moi également quelques remarques sur l’aggravation des conflits culturels au sein des sociétés occidentales.
Ces dernières années ont eu de quoi attrister l'Europe – en raison notamment du soi-disant « conflit de civilisation » provoqué en son sein par l’accroissement rapide des minorités. L’arrivée de nouveaux dirigeants permettra peut-être à l’Europe de relever ce défi et de montrer la voie au reste du monde. Mais ce ne sera pas facile.
Fut un temps, les distances géographiques rendaient les différences culturelles moins sensibles et atténuaient souvent les conflits culturels.
Mais l’éloignement géographique, qui amortissait les chocs entre cultures, s’amenuise depuis quelques années. La révolution des communications a « tué » les distances. De plus, les cultures se côtoient de manière beaucoup plus importante qu’on ne l’aurait cru possible par le passé.
La mondialisation ne fait que renforcer cette tendance. Quelque 45 millions de jeunes se présentent chaque année sur le marché du travail dans le monde en développement – or, dans bien des cas, il n’y a pas assez d’emplois pour eux dans leur pays d’origine. L’immigration représente aujourd’hui les deux tiers de la croissance démographique dans les 30 pays membres de l’OCDE. Quelque 150 millions d’immigrés vivent aujourd’hui en toute légalité loin de leur terre natale, sans compter les millions de clandestins. Les sommes envoyées au pays par ces expatriés représentent quelque 145 milliards de dollars US par an – et génèrent le double en termes d’activité économique.
La logique économique qui pousse à l’immigration est beaucoup plus puissante et implacable, me semble-t-il, que ne le croient la plupart des gens. D’où les difficultés à enrayer ou à inverser la tendance.
Au fur et à mesure que les sociétés qui étaient restées culturellement homogènes se transforment en sociétés pluriculturelles, les rythmes, les couleurs, les saveurs des communautés d’accueil évoluent. Certains s’en réjouissent, d’autres s’en effraient. Plus de la moitié des personnes interrogées lors de récents sondages en Europe a une vision négative de l’immigration.
Ce qui résulte de tout cela le plus souvent, c’est la marginalisation – sociale et économique – de nombreuses minorités. Inutile d’aller très loin pour le constater. Ces marginalisés, on les trouve bien sûr dans les plaines inondables du Bangladesh, les ruelles des villages ougandais et les bidonvilles du Caire. Mais on les trouve aussi dans les banlieues de Paris.
Le « choc des civilisations » est un problème à la fois local et planétaire.
Le pluralisme existe dans les faits – mais pas dans les têtes. Nous vivons dans des sociétés « cosmopolites » encore dépourvues de ce que j’appellerais une « éthique cosmopolite ».
Une des principales entraves au développement du pluralisme est tout simplement l’arrogance humaine, à mon avis. Toutes les grandes religions du monde nous préviennent contre l’orgueil – pourtant beaucoup sont encore tentés de vouloir jouer à Dieu au lieu de faire preuve d’humilité face au divin.
Une des composantes fondamentales de toute vision véritablement religieuse du monde est, me semble-t-il, la conviction que nous avons tous beaucoup à apprendre les uns des autres.
Le Saint Coran enseigne que tous les êtres humains ont été créés par un même Créateur, « d’une seule âme »… affirmation profonde de l’unité de l’humanité.
Cet enseignement de l’Islam est, bien sûr, un idéal partagé par toutes les autres grandes religions. À l’histoire des conflits religieux répond celle, tout aussi longue, de la tolérance religieuse.
Au lieu de vous invectiver, soyez à l’écoute et apprenez les uns des autres – voilà ce à quoi nous invitent nos religions respectives. En ce sens, l’une des premières leçons à découvrir concerne les grands chapitres souvent négligés de l’histoire qui ont vu naître, grâce à la collaboration active et créatrice des musulmans et des chrétiens, certaines des plus grandes réalisations de l’humanité.
La défense du pluralisme n’est pas un pâle compromis. C’est un impératif sacré. Vue sous cet angle, la différence devient source d’enrichissement et l’« autre » représente à la fois une opportunité et une bénédiction – que cet « autre » habite de l’autre côté de la rue ou de l’autre côté de la planète.
Après avoir évoqué les difficultés que rencontre la démocratie, les opportunités qu’offre la société civile et la nature des conflits culturels, j’aimerais – si vous le voulez bien – revenir à mes remarques précédentes concernant l’accélération de l’histoire, le risque de nouvelles dérives et le besoin de maîtriser le changement.
La question que je soulèverai pour conclure est la suivante : qui est le mieux placé pour tenter de maîtriser ce changement ? Vous êtes, à mon avis, de ceux à qui incombe cette responsabilité et cette chance, vous qui, à l’issue d’un programmes d’études comptant parmi les meilleurs du monde, avez obtenu cette semaine un diplôme qui fait de vous des « Maîtres » en affaires publiques.
Alors que vous recevez ce diplôme, je tiens à vous présenter mes plus chaleureuses félicitations. Je prie Dieu qu’il vous accompagne, vous inspire et vous donne les moyens de réussir dans tout ce que vous entreprendrez de meilleur.
Merci de votre attention.